L’année suivant la sortie de son second album voilà déjà le retour de BREL avec son troisième opus Au printemps orchestré par André Popp et François Rauber. Coincé entre son premier gros succès Quand on n’a que l’amour et les deux monstre sacrés à venir "La Valse à mille temps" et "Ne me quitte pas", ce troisième album peut passer assez inaperçu. Interprète en plein essor, son art touche un public grandissant, il vit à Paris avec sa femme Miche et leurs enfants et commence peu à peu à se produire sur scène, il fait parler de lui et se distingue de plus en plus.

Au piano, parfois à l’accordéon et sur un rythme valsé qui n’est pas sans rappeler les danses de mariages voire les fêtes populaires "Demain l’on se marie" s’attaque avec humour, à travers un piano doux et léger, presque gai, au mariage très ancré dans la société des années 50. Il se moque des promesses idéales que se font les gens qui s’aiment et des compromis et de la routine finalement attendus dans un mariage et le thème musicale tout en rondeur et les phrases répétitives de BREL accentuent cette idée de routine.

"Au Printemps" qui donne le titre à l’album est une chanson toute pleine d’espoir, le renouveau du printemps où tout semble possible, qui donne envie de profiter du moment présent. Il chante l’ivresse des amours de jeunesse, l’insouciance. La musique est sereine et rythmée, beaucoup de cordes, de cuivres, un peu de flûte, répétitive comme le cycle de la vie, la renaissance d’après l’hiver. Cette chanson conserve toute la fraicheur d’un printemps ensoleillé, quand, soudain, nous voici mélancolique avec "Je ne sais pas". Chanson plus introspective, pleine de doutes de questionnements, la mélodie est douce et profonde, la guitare apporte de la chaleur et la flûte comme écho aux paroles nous laisse apercevoir un BREL vulnérable.

Dans un tout autre genre voilà "Le colonel" avec un tambour qui reproduit le rythme d’une marche militaire. BREL un peu saccadé, sec avec des intonations exagérées, caricature, rit et dénonce les hiérarchies militaires et sociales donnant un aspect théâtral à la chanson. Puis, bien loin du théâtre, "Dors ma mie" est une berceuse envoutante et douce où BREL utilise ses fameux crescendos, jusqu’à atteindre des moments intenses.

"La lumière jaillira" est orchestralement riche. Message de rédemption, l’orgue accentue cela donnant un aspect dramatique et presque spirituel par moment. Les cuivres, eux, sont intenses. Tout est en ascension, l’intensité croît, c’est chargé jusqu’à ce que la lumière jaillisse et se libère. Dans un même thème un peu liturgique "Dites, si c’était vrai" est une curiosité, un poème récité sur fond d’accompagnement musical à l’orgue. "Voici" avec ses airs de fugato est également accompagné par un orgue.

Cette album constitue une étape dans la carrière de chanteur de BREL, entre ses premiers albums plus intimistes et les suivants qui se trouveront être plus poignants et théâtraux, ici, dans un entre deux, il nous apparaît tantôt gai, tantôt vulnérable quand il n’est pas en introspection sur l’existence humaine. Ses chansons satiriques telles que "Demain l’on se marie" et "Le Colonel" bien que fortes restent toutefois modestes là où elles pourraient être plus intenses. Il s’agit d’un album dans la continuité de ce qu’il est un peu figé parfois bien qu’avec des mélodies et des textes pareils à de la poésie et l’affirmation d’un style de plus en plus marqué. Opus de transition important dans la carrière de BREL, c’est à la fin de cette même année 58, en décembre, qu’il fera un succès mirifique en première partie à l’Olympia.