La fin des BYRDS… La sortie de The Notorious Byrd Brothers en janvier 1968 est l’un de ces moments clés dans l’histoire du rock dont on mesure mieux la portée avec le recul : l’un des groupes les plus importants des années 60 se disloque en léguant à la postérité un dernier grand disque avant de s’enfoncer dans la médiocrité. Un peu plus de trois ans à peine se sont écoulés depuis l’époque héroïque où ces jeunes folkeux fans des BEATLES revisitaient dans l’anonymat « Mr. Tambourine Man » en le soumettant à un traitement rock inédit. Mais ces trois années sont une éternité à une époque où la musique évolue à une vitesse considérable : le succès immédiat et l’adoration des foules, les premières dissensions, le déclin commercial en même temps que l’envol artistique… Tout cela touche à sa fin. Ensuite, rien ne sera plus pareil.

Au cours de l’enregistrement de l’album, les BYRDS cessent d’être un groupe. Le départ de Gene Clark avait été un choc, mais le talent et l’inspiration avaient aidé à l’encaisser. Cette fois, par contre, les querelles internes sont à leur paroxysme. En novembre 1967, Michael Clark quitte le navire. Lassé de l’insuccès croissant, nostalgique de l’époque où le groupe pointait à la tête des charts du monde entier, réticent face à l’évolution psychédélique entamée avec Younger Than Yesterday, il jette l’éponge et se retire. Bien qu’ayant été à l’origine quasiment choisi sur casting pour compléter le line-up originel avec ses allures de playboy, il avait su s’imposer à la batterie sans jamais toutefois gagner le titre de songwriter. On le retrouvera aux côtés de Gram Parsons au sein des FLYING BURRITO BROTHERS.

Mais le vrai séisme concerne l’exclusion de David Crosby, membre fondateur viré en octobre sans ménagement par ses anciens amis. Crosby… Hippie cérébral au sourire narquois, assoiffé d’expérimentation et immergé dans la contre-culture américaine, créatif, fantaisiste, et surtout de plus en plus esseulé au sein du groupe. Dès juin 1967 lors du Festival de Monterey – dernier haut fait d’arme avant la désagrégation – il exaspère sur scène les autres BYRDS par ses incessantes diatribes politiques et pactise avec les grands concurrents de BUFFALO SPRINGFIELD. Puis il conteste les choix musicaux de McGuinn et Hillman en vue du futur album, cherchant à imposer des chansons (la très réussie « Triad », dont personne ne veut) et critiquant le sempiternel recours à des reprises (notamment celle de « Goin’ Back » de Carole King et Gerry Goffin). Expulsé du groupe, il est remplacé par un cheval sur la pochette.

Crosby a donc perdu la bataille. Jamais il ne sera le leader des BYRDS. Pour le remplacer, on fait appel à Gene Clark, qui se remet de l’échec injuste et tétanisant de son premier (et magique) album solo. Poursuivi par ses démons, il repart aussi sec après quelques semaines. En fin de compte, le groupe se réduit à deux : McGuinn et Hillman, environnés de musiciens de studio. Dans ce contexte, une catastrophe est à craindre. Mais c’est l’inverse qui se produit. L’album est un hymne rugissant à la gloire du folk, du rock, du jazz, de la country, de la musique baroque et du psychédélisme. Un modèle de syncrétisme et d’équilibre entre des genres disparates qui fusionnent ici avec passion. The Notorious Byrd Brothers, plein à craquer d’expérimentations encouragées par le producteur Gary Usher, s’avère être l’apogée de la carrière des BYRDS.

Deux immenses chansons : « Naturel Harmony », belle à pleurer, ensorcelante, composée de main de maître par Hillman qui signe là l’un de ses chefs d’œuvre, et « Get to You » (que Gene Clark coécrit avec McGuinn) au refrain saisissant et élancé. Chacune de ces merveilles propulse les BYRDS à des sommets artistiques. Mais les apports de Crosby ne sont pas en reste. Ses trois contributions sont exceptionnelles. Qu’il critique la guerre du Vietnam avec « Draft Morning », composition d’abord translucide puis soudain densifiée par une trompette guerrière, qu’il fête la communauté hippie avec l’apaisante « Tribal Gathering » ou brode sur des métaphores aquatiques (« Dolphin’s Smile »), il fait un sans-faute. Que les autres membres aient pu se débarrasser de lui avec une telle désinvolture et se priver ainsi de son écriture si fluide et exigeante révèle l’état de déliquescence dans lequel le groupe est tombé.

Mais c’est tout le disque qui est un triomphe. En déployant un groove bardé de cuivres (« Artificial Energy »), en poursuivant leurs explorations country rock (« Change is Now ») et en les conduisant jusqu’au délire baroque (« Old John Robertson ») avant de finir sur un léger abus de Moog hypnotique (« Space Odyssey »), les BYRDS rendent cohérent et digeste un assemblage improbable. Même les reprises, dont la célèbre « Wasn’t Born to Follow » que popularisera le film Easy Rider, sont particulièrement réussies. Voilà pourquoi The Notorious Byrd Brothers est une célébration du talent du groupe et un jalon dans l’évolution musicale de la fin des années 60. Mais puisque l’on connait la suite de l’histoire, on peut aussi lui trouver un goût un peu amer : après lui viennent les errances country, la baisse d’inspiration, la médiocrité et des albums inégaux qui ternissent une discographie jusque-là quasi-parfaite. Crosby, devenu dans la foulée millionnaire (CSN, CSN&Y…) en rit, ou en pleure, encore.