Randy NEWMAN est un drôle d'oiseau. Né en 1943 à Los Angeles, il est un musicien accompli, ayant étudié la musique on ne peut plus sérieusement. Sa famille compte 3 compositeurs, ses oncles, ayant tous travaillé pour Hollywood : Alfred, Lionel et Emil NEWMAN. A cet univers qui l'a sans doute amené naturellement vers la musique s'ajoute une particularité : sa mère vient de Louisiane. Il a passé du temps à La Nouvelle-Orléans, et cela irriguera toute son œuvre. Randy NEWMAN vient de deux mondes : le Sud, et, même s'il est difficile de considérer Los Angeles comme le Nord des Etats-Unis, l'autre côté de la frontière. Cela n'est nullement anodin et marquera sa vision de l'Amérique.

A cela s'ajoute enfin une indéniable ironie, et un certain goût de l’ambiguïté. Randy NEWMAN, à travers ses chansons, interprète de multiples personnages, tous plus drôlatiques les uns que les autres. Mais même lorsqu'il incarne et fait parler un abruti complet, il ne le condamne pas, et réussit en général à montrer que ce dernier, pour stupide qu'il soit, n'a pas forcément tort sur tous les sujets. Cette ambiguïté met NEWMAN à part des autres chanteurs. En effet, la musique populaire fait rarement appel à l'intelligence de ses auditeurs.

La musique, où le piano est très présent, est inspirée du folk, du jazz, des grandes chansons américaines. Les textes sont uniques. Il semble difficile de les « raccrocher » à une lignée, et il est dommage de constater qu'à ce jour, personne n'ait emprunté le même chemin.

Parlons de l'album. La photo de la pochette montre Randy NEWMAN en jeune homme sage, portant de grosses lunettes de vue. Au dos, il apparaît en veste en laine, pull à col roulé jaune et pantalon noir. Un garçon bien propre sur lui, sérieux, et dont on peut penser qu'on ne va pas beaucoup s'amuser avec lui. Sauf que... L'album démarre en trombe, par "Love Story". Chanson d'amour ? Oui et non. Ou plutôt, oui, mais pas comme on l'entend d'habitude. Le narrateur décrit à sa future femme leur vie à venir : leur mariage, leur enfant, leur routine quotidienne, leur retraite en Floride, leur mort. Cela pourrait être sinistre, mais c'est hilarant. D'abord parce-que Randy NEWMAN intègre par petites touches des éléments d'étrangeté ("We'll have a kid, or maybe we'll rent one*") qui renseignent peu à peu sur le prosaïsme insensé du narrateur, et parce-que le couplet ("You and me, you and me, Baby" répété à l'envie) est chanté dans l'urgence, sur un vigoureux tapis de cordes qui laisse croire qu'il y a tout de même... du désir ! Voilà, c'est du Randy NEWMAN : le narrateur est sans doute un crétin, mais la situation est un peu plus complexe qu'elle ne paraissait au premier abord.

Pour le reste ? On croise des amoureux qui souffrent, un fils ne débordant pas d'envie de revoir son père, un Dieu absent et peut-être mort, un cow-boy fatigué, un garçon affublé d'un ami très gros et qui le force à danser, d'autres encore.

Cet album est très bon. Le fait qu'il s'agisse du premier de Randy NEWMAN est tout simplement incroyable : aucune longueur, aucune facilité ne viennent appesantir l'ensemble. De plus, la musique n'a aucunement vieilli. Dépouillée, même lorsqu'elle emprunte à l'orchestre, son classicisme lui permet d'éviter d'être marquée par son temps.

A (re)découvrir d'urgence.


* "Nous aurons un enfant, ou peut-être que nous en louerons un". Si cette idée vous fait rire, Randy NEWMAN est fait pour vous. Sinon, vous pouvez passer votre chemin.