Qu’il est difficile pour un artiste ayant pondu quelques chefs-d’oeuvre dans les années 1970 de se maintenir au niveau ! Cela relève de la gageure ! Sans compter que cela crée souvent une incompréhension réelle entre l’artiste et son public. Car soit le musicien est fidèle à ce qu’il a été, et on lui repproche de se répéter et de n’avoir plus la fraîcheur d’antan, soit il se renouvelle et on l’accuse de trahison. Décidément, il n’est pas facile de vieillir sans décevoir* !
Et pourtant, Bad Love, le précédent opus de NEWMAN, était très bon. Il faut dire que Randy NEWMAN, tout en revenant aux fondamentaux de sa musique, entre Shuffle et Jazz, Boogie et Country, avait su adapter ses textes à ce qu’il était alors : un quinquagénaire. C’est un portrait de la masculinité vieillissante – pardon, on parle de maturité – qu’il nous proposait, et c’était formidable.
Harps And Angels, sorti 9 ans après Bad Love, aurait donc pu nous régaler des mésaventures d’un sémillant sexagénaire, entre vieilles douleurs, physiques et/ou morales, et surtout entre ridicule absolu et vraie émotion. Seulement voilà, force est de constater que Harps and Angels n’est pas totalement au rendez-vous.

La musique remplit pourtant entièrement son office : désuette, certes, mais tellement élégante et si bien écrite qu’elle en devient finalement intemporelle. Tout comme dans Bad Love, NEWMAN se cantonne à ses premières amours : piano, basse, batterie, guitare, cordes et cuivres par endroits. Cette musique un peu surannée, véritable marque de fabrique de NEWMAN, est le pendant incontournable de la fausse méchanceté des textes, et de leur implacable drôlerie. Elle les met en valeur, en fait, par contraste, distillant une dose de bonhomie joyeuse entre deux gorgées de vitriol.

Alors, qu'est-ce qui ne fonctionne pas ? Les textes, justement, ne sont pas vraiment de la même eau que ceux des précédents disques : moins délirants, moins caustiques et satiriques, moins émouvants aussi. On retrouve pourtant les préoccupations habituelles de NEWMAN : les petites gens, les inégalités, les amours contrariées, le racisme, la politique étrangère américaine. Mais NEWMAN cisèle moins son propos. Se donnant davantage de temps, il allonge la durée habituelle de ses chansons et les rend – forcément – plus diluées. C’est dommage ! Devenu moins concis, il reste un type formidable, mais il nous surprend moins.

Au jeu des meilleurs morceaux, on n’en signale donc que trois qui sortent du lot : « A Piece Of The Pie », qui semble tout droit sorti d’un opéra de Kurt WEILL avec sa fanfare endiablée, célèbre Jackson BROWNE** ; « Korean Parents » cible l’insolente réussite des imigrés coréens à l’école, avec l’inénarrable talent de NEWMAN pour jouer sur le fil de nos préjugés ; « Only A Girl », enfin, est le récit d’une pseudo histoire d’amour entre une femme jeune mais pourvue d’une chaussure orthopedique et un homme riche mais âgé découvrant à la faveur d’une conversation avec un tiers que son argent a peut-être un rapport avec l’amour que cette femme est supposé lui porter. Voilà ! C’est dans ces situations-là que l’on retrouve vraiment NEWMAN, dans le bizarre, dans le tordu, et surtout dans l’ambigüité. NEWMAN n’est jamais aussi bon que lorsqu’il est à la frois drolatique et dérangeant.

Plus rond et moins satirique que Bad Love, Harps And Angels est finalement plaisant à écouter, même s’il ne fait pas partie des meilleurs de ce drôle d’oiseau qu’est Randy NEWMAN. Il n’empêche, l’homme est trop rare pour qu’on passe totalement à côté.


*Pas seulement en tant qu’artiste, d’ailleurs, mais on fera de la philosophie une autre fois.
**Chanteur américain, auteur, entre autres, de « protest-songs ».