Randy NEWMAN prend son temps. Son écriture, qu’il s’agisse des textes ou de la musique, est très travaillée. Ses arrangements sont ciselés. Sous ses airs rigolards, c’est un perfectionniste, un faux tranquille, de ceux qui cherchent en permanence la chanson parfaitement équilibrée, sans un mot ou une note de trop. Il lui aura donc fallu 2 ans pour enregistrer 12 nouvelles chansons, après Sail Away. Chansons courtes, comme toujours. La douzaine est donc un minimum pour obtenir la durée permettant de sortir un album*.

Sail Away était inattendu, hilarant, méchant. Que faire ensuite ? Pire, bien sûr. NEWMAN va continuer de creuser le sillon déjà abordé depuis ses débuts : le « deep south », le racisme, la misère, intellectuelle ou sociale. En fait, NEWMAN puise aux mêmes sujets que les « protest-singers ». Sauf que. Là où d’autres dénoncent, il ricane, tord les sujets dans tous les sens, s’éloignant des jugements hâtifs pour nous plonger dans une certaine perplexité. NEWMAN pique notre sens moral et sait trouver l’endroit exact où gratter.

Les « Good Old Boys » du titre de l’album, ce sont les braves gars du coin. Les blancs ordinaires du sud des Etats-Unis, à la messe le dimanche, incultes, racistes. Les condamner est facile, ils n’ont pas grand-chose pour les excuser. Sauf que... Je ne dévoilerai pas la splendide manière dont Randy NEWMAN, dans « Rednecks » renverse la situation, il y a trop de plaisir à la découvrir par soi-même. Disons juste qu’il remet la question raciale américaine dans un contexte plus large, et de fait plus complexe, osant une conclusion digne des plus grands moralistes.

L’album chemine ainsi à travers le Sud pour ses 2/3, entre ballades ravageuses (« Birmingham »), amoureuses (Marie »), complaintes de travailleurs (Mr. President (Have Pity On The Working Man »)) politiciens sujets à controverses, (Lester Maddox le ségrégationniste dans « Rednecks », Huey Long le populiste dans « Every Man A King » et « Kingfish »). La méchanceté de Randy NEWMAN, son ironie cinglante, se dispute à une vraie tendresse pour les pauvres petits bonshommes qui peuplent son univers et qui ont tous en commun de vivre dans un monde auquel ils ne comprennent rien. Même la nature les malmène ! « Louisiana 1927 », chanson sur l’inondation de la Louisiane et du Mississipi est tout simplement magnifique.

Randy NEWMAN conclut son album par quatre chansons moins marquées par le Sud. Elles n’en sont pas moins excellentes, ces quatre pépites absolues d’humour noir et de délire. J’ai personnellement une préférence pour « Wedding in Cherokee County », une histoire de mariage forcé racontée par le futur marié. Là encore, NEWMAN semble nous prendre par la main pour adopter un point de vue moral, puis renverse la situation. Le futur marié est un tel pauvre type qu’il devient difficile de le condamner.

Les amateurs de chansons fédératrices, les allumeurs de briquets aux concerts, les aficionados de ces chanteurs qui osent, comme disait Pierre Desproges, dire du mal de Pinochet à moins de 3000 kilomètres du Chili passeront leur chemin. NEWMAN est un alcool fort, pur, qui se boit sec. Une sortie d’alambic à 70°, comme il se doit, vieillie en fût de chêne. Randy NEWMAN se savoure entre connaisseurs, à petites doses, mais ô combien mémorables. Ami lecteur, rejoins le club.


*La réédition de 2002 propose des maquettes de l'ensemble, formant un double CD. C'est l'album original qui est chroniqué ici.