Il m’arrive souvent d’aller voir les gens du département communication et marketing. Il y a là deux filles qui sont chargées de maintenir l’enthousiasme autour de l’activité de notre prospère compagnie et un gars malheureux qui se retrouve à traduire des dépliants sur les produits laitiers après avoir écrit une thèse sur Berdiaev. J’imagine que le label Warp a dans ses bureaux un attelage similaire. Deux personnalités lumineuses qui mettent leur enthousiasme idiot au service de tout projet, quel qu’il soit, et un intello désabusé qui sert de réservoir de concepts à tout ça. Je les vois penchés sur leurs ordinateurs immaculés, concoctant le plan de communication accompagnant la sortie du dernier EP d’APHEX TWIN.

Ils collent des affiches sybillines dans le métro de Londres. Il lancent un compte à rebours énigmatique sur internet. Ils agitent la foule versatile des forums. La chasse au trésor qui entoure chaque nouvelle sortie de Richard D. James est un rituel bien réglé, étranger à sa musique, une mascarade pour trentenaires nostalgiques qui retrouvent dans ces mystères préfabriqués une mise en scène des limites technologiques des années 90, quand il fallait fouiller sans relâche pour trouver des bribes d’informations sur les révolutions électroniques en cours.

La musique d’APHEX TWIN n’a rien à voir avec tout ça. Depuis son retour en 2014, le grand DJ roux ne repousse plus les frontières de l’électro, il tisse son œuvre en solitaire, bloqué quelque part dans l’espace temps, prisonnier volontaire du registre de l’intime. Les "sensations fortes" ont disparu, il ne reste plus qu’une patte inimitable, un son qui s’est niché au fond du coeur il y a des années et qui resurgit à chaque nouvelle sortie.

Dès les premières notes de "T69 collapse", on se retrouve en terrain connu. Les extraterrestres babillent, les breaks dévoilent un monstre technologique sinistre, les mélodies ramènent à un état d’apaisement contemplatif. Sur les passages plus rythmés ("1st 44"), la virtuosité du maître en matière d’exploration sonore se révèle une fois de plus.

En bon classique, APHEX TWIN place ses culminations en milieu d’EP. "MT1 t29r2" est une galerie de sons cristallins qui n’aurait pas fait tache sur les sorties de The TUSS. Un clavier et sa mélodie lancinante se frayent un chemin au milieu des chocs et des plaintes synthétiques. Le traîneau emporte la boyarine Morozova dans une volée de clochettes. L’équilibre entre pulsations techno et mélodies oniriques se maintient tout au long du morceau, miracle permanent.

Et puis patatras, la fin de l’EP se vautre dans la facilité. C’est du Analogue Bubblebath Vol. 4, sans l’excuse d’avoir été composé dans les années 90. Du APHEX TWIN qui se caricature lui-même, où seuls les échantillons de voix confèrent une personnalité au morceau (« abundance10edit »).

Aucune compo véritablement mémorable, quelques bonnes idées, quelques pistes pantouflardes : « Collapse », malgré son titre prometteur, est un EP en droite ligne du retour mollasson d’APHEX TWIN. Qui a été contaminé par le virus twinien il y a vingt-trente ans y trouvera forcément son bonheur, les autres se demanderont ce qui a bien pu conférer une aura de mystère à cette musique prévisible.