L’atterrissage est rude pour les fans d’IDM. Cela ne suffisait pas d’aimer le genre le plus mal baptisé de la Création, cela n’était pas encore assez d’être gentiment ringard depuis quelques années, il a fallu que le grand manitou twinou revienne de son exil intérieur pour déchaîner un cirque médiatique digne d’une reformation d’un dinosaure du hard-rock. On passera sur la réapparition surprise d’un disque de CAUSTIC WINDOW à la fin du printemps et sur le marketing branchouille exaspérant imaginé par Warp pour lancer ce sixième album studio d’APHEX TWIN.

On oublierait presque qu’au-delà de cette vaste fumisterie des treize ans d’absence du pseudo le plus populaire de Richard D. JAMES, il y a plus d’une dizaine d’EP sortis chez AFX, un The TUSS tout beau tout neuf, et des concerts dans le monde entier. Pris comme le successeur direct de Drukqs, Syro est incompréhensible. Replacez 11 EP dédiés aux expérimentations analogiques dans l’intervalle, et vous obtenez déjà une évolution un peu plus cohérente. Perdu quelque part entre l’audace de la série Hangable Autobulb et la nostalgie période Analord, Syro est un album d’AFX qu’on a grimé en événement planétaire pour permettre à Richard D. JAMES de s’acheter les Shetland.

Une fois dépouillé de son contexte extra-musical, le dernier né d’APHEX TWIN s’apprécie comme une rencontre fortuite avec un ami de vingt ans. Les tics propres à l’univers du Cornouaillais sont tous présents, des samples de voix venus d’ailleurs aux synthés archaïques, en passant par les mélodies rêveuses. Le début de l’album aurait pu aisément s’intituler Analord 12, avec de délicieuses compositions acid house, à l’image de « produk 29 [101] » et « 4 bit 9d api+e+6 [126.26] ». « Xmas_Evet10 [120][Thanaton3 Mix] » apporte un peu de profondeur à l’ensemble, mais ses longues plages de synthé se perdent quelque peu en circonvolutions inutiles.

Les choses sérieuses ne commencent vraiment qu’à partir de « Circlont6a [14198][Syrobonkus Mix] », qui signe l’arrivée des samples en russe. Oui, du russe, sur un album de Richard D. James… Je roucoule d’aise comme un toucan à qui l’on promet de devenir la mascotte d’une marque de jus de fruit. Par la seule grâce de la langue de Pouchkine, la fin de Syro se pare d’un petit côté science soviétique pas désagréable ; il ne manque plus qu’un solo de thérémine*¹ pour que le tableau soit complet.

Le titre phare de l’album est sans conteste « Circlont14 [15297][Shrymoming Mix] », avec son mélange de nappes fantomatiques et de percussions tribales. Comme toujours chez APHEX TWIN, la signature sonore est unique et chaque sample s’intègre parfaitement dans le dédale des boucles synthétiques. Les expérimentations désuètes de « syro u473t8+e [14198][piezoluminescence mix] », quant à elles, raviront les fans de CEEPHAX. Les morceaux un peu plus fouillés sur le plan rythmique sont nettement plus décevants, comme « minipops 67 [1202][source field mix] », « Papat4 [155][Pineal Mix] » et « s950tx16wasr10 [16397][earth portal mix] ». Le disque se conclut sur « aisatsana [102] », pièce légère où APHEX TWIN renoue avec sa lubie du piano préparé.

Syro ne révolutionne rien, n’invente rien et ne peut à aucun moment prétendre jouer dans la même cour que les précédents albums studios d’APHEX TWIN. Reste un disque sympathique, bien ficelé, sans véritable temps fort ni temps faible. Richard D. JAMES a suffisamment de talent pour que décortiquer chaque morceau soit un émerveillement. En définitive, Syro est à placer parmi les œuvres du DJ roux auxquelles on porte plus d’affection que d’estime, tels l’Analogue Bubblebath 3 ou Expert Knob Twiddlers. En dessert, une digression sur Lev Termen, qui l’a bien mérité :


*¹ Le thérémine est instrument électronique inventé par l’ingénieur Lev Termen au lendemain de la révolution d’Octobre. Cet étrange bidule bardé d’antennes produit des sons quand on le frôle avec la main. Son génial inventeur a connu une destinée romanesque : après avoir présenté sa trouvaille à Lénine, il fit la tournée des pays capitalistes avant de s’installer à New-York. En 1938, il retourne brusquement en URSS, au point de passer pour mort auprès de ses proches aux Etats-Unis. Le NKVD lui met la main dessus et le déporte dans les sinistres camps de la Kolyma – à ce sujet, lire absolument les Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov, recueil de nouvelles bouleversant et empreint d’humanité.

Même au fin fond de l’enfer, Termen tente d’améliorer la condition de ses codétenus en proposant une organisation rationnelle du travail. A la faveur de la guerre, il est transféré dans les laboratoires secrets du ministère de l’Intérieur, comme de nombreux autres savants internés suite aux purges staliniennes. Il y rencontre Koroliov, le père du programme spatial soviétique. Après avoir été libéré de ses recherches pour le NKVD, il se consacre à l’invention d’instruments de musique au conservatoire de Moscou puis à l’Université d’Etat. Le père de la musique électronique meurt en 1993, laissant derrière lui un incroyable héritage scientifique et musical.