Les amateurs de polar et de thrillers le savent bien, l’assassin aime revenir sur la scène du crime. Cette constatation est devenue si évidente que la plupart des services de police filment les attroupements de curieux venant s’agglutiner tels des moutons ou des bœufs devant les cordons jaunes pour s’enquérir des dernières horreurs.

Nous sommes donc en 2007, Bettye LaVette connaît depuis deux ans un succès aussi inattendu qu’amplement mérité depuis la sortie de "I’ve Got My Own Hell To Raise", album qui lui a permis de revenir sous les feux des projecteurs. A l’instigation d’Andy Kaulkin, big boss d’Anti Records, la chanteuse revient à Muscle Shoals, là où en 1972 elle avait mis en boîte "Child Of The Seventies", album qu’Atlantic ne jugea pas nécessaire de publier.

Rétablissons une impression quelque peu injustifiée : pendant très longtemps, votre humble serviteur a laissé cet album prendre la poussière pour une raison simple : l’accompagnement de DRIVE-BY TRUCKERS (groupe chroniqué sur le site par l’ami Bayou) était inférieur à celui de la formation qui avait accompagné la chanteuse lors de sa tournée européenne en 2004 (le bassiste Pat Prouty, le guitariste William Farris et le batteur Darryl Pierce). Il convient aujourd’hui de tempérer la chose, si j’ai eu d’excellents échanges avec ces différents musiciens, Pat parlant le français, avouons que les membres de Drive-By Truckers ne sont pas les premiers perdreaux de l’année. Il est bon quelquefois de revenir sur ses a priori et d’admettre son erreur, même si on peut penser que l’ancienne troupe était nettement plus Soulful et Groovy que la bande de Patterson Hood.

Si, dans l’album précédent, l’interprète avait privilégié des chansons exclusivement issues d’auteures, elle change ici son fusil d’épaule. Il faut avoir l’oreille fine pour reconnaître les diverses reprises, Bettye LaVette se réappropriant la majorité des titres. "I Still Want to Be Your Baby (Take Me Like I Am)", un inusité d’Eddie Vinton, ouvre les débats dans un décor de Country Soul. Une version bien éloignée de celles de Jimmy Thackery ou de l’harmoniciste Jimmy Hall, avec un chant nettement plus habité. La native du Michigan métamorphose divers inusités Country : "Choices", une ballade de Billy Yates avec violon popularisée chez les péquenots par George Jones. "Somebody Pick Up My Pieces", une mièvrerie hyper mollassonne de Willie Nelson se retrouve transposée en un mélange de Soul et d’Americana à l’accompagnement particulièrement épuré. Autre inusité dans la lignée de l'Americana, "The Last Time" ⃰, titre des Goners de John HIATT, prend ici un virage plus groovy et moins slide que l’original. Autre titre pioché dans le domaine Country Pop, "They Call It Love", compo' obscure de Steve Young, reprise jadis par Ray CHARLES, lui aussi grand amateur de Country. Elle revisite complètement "I Guess We Shouldn’t Talk About That Now", un folk d’Ed Pettersen transformé en une mixture d’Americana et de Southern Soul.

Bettye LaVette nous propose une petite escapade en terre écossaise avec "Jealousy" ⃰ ⃰, un excellent titre Soul de Frankie Miller. Si Maggie BELL l'avait repris dans une tendance Blues Rock bien calibrée, ici la voix tout en rupture fait la différence. Une version qui nous semble beaucoup plus intéressante que celle de Joanne Shaw Taylor. La chanteuse surprend encore avec "You Don’t Know Me At All", un Rock peu savoureux de Don Henley, transformé ici en Southern Rock. Elle reprend "Talking Old Soldiers", ballade atypique d’Elton JOHN mais l’accompagnement ne parvient à transfigurer le morceau qu’à de trop rares moments.
Terminons par l’unique original coécrit avec Patterson Hood, l’autobiographique "Before The Money Came (The Battle Of Bettye LaVette)" où la chanteuse nous fait part de sa frustration et de son dépit face à l’incroyable non publication de son album Atlantic et remet les pendules à l’heure. La voix graveleuse et les paroles flirtant entre les regrets amers et une reconnaissance tardive nous procureraient presque un bon frisson.

A moins d’être fan invétéré, cet album nous semble un ton inférieur aux précédents et aux productions postérieures. On retrouve certes la qualité d’écriture des textes largement au-dessus de la production Soul contemporaine, mais l’accompagnement épuré et un manque d’accroche mélodique risquent de heurter et de lasser l’amateur d’une Soul plus traditionnelle ou festive. Mais ce qu’on retient avant tout chez cette formidable interprète, c’est sa capacité constante à rhabiller des pieds à la tête des titres issus d’autres mouvances. Si le disque sert de transition entre deux albums fort recommandables, la pochette très sombre (normal pour une scène de crime) ne s’avère guère porteuse. Quand on regarde bien, la pochette provient de l’intérieur d’un véhicule. Pour l’anecdote, le claviériste Spooner Oldham était présent lors des sessions Atlantic de 1972 alors que le guitariste Patterson Hood n’est autre que le rejeton du bassiste David Hood, lui aussi présent sur quelques faces Atco, preuve que le temps passe.

⃰ Titre homonyme à ceux de Jimmy Rogers, Bread, Rolling Stones, Janis Joplin, Taylor Swift.
⃰ ⃰ Titre homonyme à ceux d’Amii Stewart, Queen, Iggy Pop, Pet Shop Boys.