Il y a bientôt 20 ans jour pour jour, les représentants du monde libre exclusivement basés à Washington décidèrent, en pleine possession de leurs facultés mentales, d’envahir l’Irak en vue d’y instaurer la démocratie, c'est-à-dire le nouvel ordre mondial.

C’est aussi en 2003 que sort Alms For Iraq, déjà l’à peu près 25ème album posthume de Bryn Jones, aka Muslimgauze. L’homme est décédé à l’âge de 37 ans, le 14 janvier 1999. Il laissait derrière lui une discographie de plus de 90 albums et, après lui, au moins le double, soigneusement distribué par le label hollandais Staalplaat.

L’origine du projet remonte à 1982, lors de la brutale invasion du Liban par Israël. Le jeune homme qui officie à l’époque sous le nom de E.g. Oblique Graph et qui est l’auteur d’une œuvre très marquée par Conrad Schnitzler et la scène indus des banlieues anglaises, va définitivement affiner son style en mêlant, d’abord lentement et sûrement puis, à partir des années 90, de plus en plus vite et encore plus sûrement, sonorités orientales et savoir-faire électro-minimal.
Tout au long de sa carrière, c’est l’actualité, très souvent tragique, de Palestine et d’autres territoires occupés, mais également, et de manière plus générale, le monde musulman et sa vaste mosaïque de peuples et donc de traditions, qui fournirent à Bryn Jones la matière première de ses innombrables et toujours inspirées réalisations.

Enregistré en décembre 1995, ce disque est tout à fait représentatif de l’aspect le plus direct et frontal du projet ; aspect qui n’allait pas tarder à prendre le dessus lors des trois dernières années à venir.
Fluide, saturé de phaser rapide, riche de samples de voix féminines, entrecoupé de silences aussi brefs qu’abrupts, volontiers grinçant voire abrasif ( c.f. la fracassante intro, le terrible titre éponyme ou encore le vicieux "Serpent Sting") – nous sommes ici copieusement servi en matière de pièces relativement courtes, ultra-rythmées et sauvagement syncopées. Le disque se situe, pour les connaisseurs, quelque part entre Izlamaphobia et Baghdad, et pourrait éventuellement, sûrement même, plaire aux amateurs d’Aphex Twin période I Care Because You Do.

"Date Odeur" : si je ne devais garder qu’un titre sur mon île déserte, ce serait celui-ci. Cette création-là, oscillant habilement entre dance floor oriental et pure expression de joie extatique, vous presse le cerveau reptilien comme on presse un citron – ce qui en découle est la quintessence ultime de la chose qui toujours nous échappe.
Mais tout l’album est basé sur ce schéma irrésistible entre boucles hypnotiques et glissements de ces mêmes boucles dans la face obscure de ce qui est supportable ou non pour le système auditif.*

Fruité, salement electro et toujours partant pour dangereusement basculer dans la noise, ce Muslimgauze-là, comme beaucoup d’autres opus dans cette plus qu’abondante discographie, vaut sacrément le détour, à défaut d’être un chef-d’œuvre.


*Attention à ne pas écouter ce type de musique à un volume trop élevé !