Je n’aime plus les îles désertes ; je parle de ces endroits que les fétichistes du monde de l’art et du monde tout court aiment à peupler de leurs disques/livres/ préférés. Auparavant, il y a 3 jours, je les aimais encore bien, voire un peu trop. Mais depuis, j’ai compris la scandaleuse supercherie. Sur une île déserte, par la force des choses et des éléments, il n’y a plus rien sinon de l’eau, du sable, des herbes et des arbres et les bêtes et organismes divers qui y prolifèrent. Pourquoi y aurait-il, par stupide miracle, du courant pour que je puisse y écouter ma musique préférée ? Comment même envisager d’avoir en sa possession du papier, c'est-à-dire des livres, même dans l’unique besoin de se nettoyer avec ? Par conséquent : pourquoi penser emporter quoi que ce soit sûr une île déserte ? Soyons sérieux.
Mais, s’il fallait absolument jouer le jeu hautement adolescent et, soit dit en passant, un peu nazi de l’île déserte, j’emporterais probablement une dizaine de cd, dont ce MUSLIMGAUZE-ci, sans l’ombre d’un doute.

Sauvagerie syncopée, balayant tout le spectre des musiques electro-tribales connues des amateurs de l’underground et des raves illicites, mais soutenue par cette patte unique de félin enragé avec style, Sufiq vous laisse à peine le temps nécessaire de comprendre ce qu’il se passe tout en vous régénérant de fond en comble. Comme une fiesta balkanique au bord du lac, avec son feu d’enfer, ses fières Albanaises en training Adidas, l’envahissante odeur d’agneau cramé sur fond de brouhaha de rires francs et de gros beat techno qui tachent.

Tout s’écoule ici avec un naturel brut et pur, témoignage d’un heureux, d’un lumineux week-end de Bryn Jones, le moine Asperger de Manchester. Ces titres brefs, intenses et fluides sont véritablement un catalogue du savoir-faire de l’artiste dans ce qu’il a de plus percutant et efficace.

"The Girl Who Sleeps With Persian Tulipe", en plus d’être gratifié du plus stylé, du plus poétique des noms de titre, est une remarquable composition alternant brusquement mais subtilement envolée orchestrale à la façon des musiques traditionnelles ottomanes et parfait silence à peine entachée par endroits d’une basse qui ronronne en sourdine.

"Last Mosque Of Herzegovina", le bouquet final, grave, menaçant et pathétique, délivre tout son pus de haine et d’espoir à la fois dans un énorme rythme tribal et une ligne ou plutôt un carré de basse méchamment ultime.

Si une seule porte d’entrée idéale dans le vaste et labyrinthique univers de MUSLIMGAUZE devait objectivement subsister, ce serait cet E.P. posthume, à n’en pas douter.
J’ose à peine le dire mais je le dis quand même : Parfait.

Finalement, après achèvement de cette petite chronique qui, déjà, fait partie du passé, je crois que je vais quand même me laisser retenter par l’île déserte – avec un couteau suisse, maximum. Et si vous tenez absolument à écouter votre musique préférée, alors faites-là vous-même, avec le matériel disponible à bord de ce lieu de complète solitude que vous avez choisi, ou peut-être qui vous a choisi.
Tel était l’état d’esprit de Bryn Jones.