Jaal Ab Dullah, c’est le gars qui vend des sodas bien frais sous son parasol à tête de mort, derrière les ruines de l’ancien Hôpital, en compagnie de sa radio qui grésille et de son chacal aveugle mais pas trop.

Mais Jaal Ab Dullah est avant tout l’hommage de Bryn Jones au hip-hop. Un hommage beaucoup plus appuyé que d’habitude, aurais-je envie d’ajouter, car la plupart des très nombreux travaux de MUSLIMGAUZE constituent, en plus de formidables architectures bruitistes et contemplatives, une ode au breakbeat poussiéreux de dessous les tapis volants. Cela dit, parole de mordu, c’est ici que Bryn Jones tabasse le plus explicitement côté gros beat saturé jusqu’à la jouissive limite. On revient même à des normes d’exagération sonore dignes d’Uzbekistani Bizarre And Souk, genre.

En tout cas, beaucoup de bonnes voire très bonnes choses dans cet opus opulent :

"Old Bombay Vinyl Junkie" déchire dans le sens le plus strict tout comme dans le métaphorique ; un monde du scratch et du viol, ni plus ni moins. Aussi dangereusement cool que son excellent titre l’indique.
"Base Metal Trinkets, One Ruppee" qui étale (complaisamment diront les mauvaises langues) son kick plus que parfait comme un despote ivre d’opium.
"Shimmer, Then Disappear" est un petit chef-d’œuvre bruitiste avorté au moment de son éjaculation rythmique – Bryn Jones était un drôle de farceur également. Le titre reviendra deux fois en plus noisy, mais toujours aussi court, notamment à la fin du très expérimental "Ravishnu, A Cassette Tape Of Murmur".
"Ultra Orthodox, And No Cheating" : traînante, hypnotique, mélancolique. Le style soufflé du désert sec, à l’état brut.
On débarque avec un des titres les plus fruités du projet MUSLIMGAUZE, l’excellent "Fakir Palm", comme une sorte d’étrange hommage fracassé à PUBLIC ENEMY.

26 titres au total, pour plus de 70 minutes d’extase et d’abandon : l’ami Bryn était plutôt du genre généreux. Et si, comme sur la plupart de ses albums, certains titres sont repris (en plus fort et plus extrême), ce n’est jamais en vain, bien au contraire. Il possédait clairement l’art de se répéter subtilement, même dans ses créations les plus abrasives, les plus exagérément massives.

En vérité, il n’y a quasi, moins les déchets collatéraux, que du bonheur sur cet excellent opus. De la pure résine de Joie, conçue avec tout l’amour du travail fait à la main. On se sent ici un peu comme à la maison, pour peu que la maison en question soit spécialement apprêtée à d’interminables séances d’improvisations autour de l’Unique.
Un disque qui sent bon le sable, l’eau-de-rose et le gaz russe.

De l’avis de Bryn Jones lui-même, ce Jaal Ab Dullah était l’un de ses travaux préférés aux côtés de Farouk Engineer et Narcotic ; tous trois fraîchement sortis en l’an de Grâce 1997, comme il se doit.
Suivons-le.