Quand sort son deuxième album en 1979, ART ZOYD a déjà un solide vécu derrière lui. Alors cantonnée à un quatuor, la formation maubeugeoise a fait ses armes en donnant de nombreux concerts dans les M.J.C. ou Maisons Des Jeunes Et De La Culture à travers la France, et en réalisant un premier album avec l’aide de leur manager Michel Besset. Le succès de leur concert au Palais Des Sports à Toulouse leur ouvrit les portes des premières parties de MAGMA en 1976. C’est ainsi qu’ART ZOYD commença à se faire un nom dans le réseau des musiques indépendantes françaises.

Musique pour l’Odyssée marque d’emblée une rupture nette avec les circonvolutions tortueuses jusqu’à l’excès de la Symphonie pour le jour où brûleront les cités et des Deux images de la cité imbécile. Si Gérard Hourbette conserve ce souci particulier de la tension harmonique et de la construction musicale, il épure son paradigme musical. Les constrastes sont moins brutaux, les thèmes plus limpides, les phrases musicales moins nombreuses. Hors de question cependant de sombrer dans la facilité. L’exercice d’épure musicale exige un soin accru apporté à la structure de l’œuvre, c’est-à-dire à la combinaison des motifs en phrases musicales, à leur variation par superpositions, au développement par l’apport de nouvelles incidences. Musique pour l’Odyssée n’a pour autant pas grand-chose à voir avec le minimalisme américain, qui fait davantage encore l’économie et la répétition de ces éléments musicaux, d’aucuns diraient 'ad nauseam'.

L’instrumentation est également fort différente. L’apport supplémentaire de cordes (Franck Cardon au violon, de retour après son remplacement par le guitariste Alain Eckert pour le premier album), de bois (Michel Berckmans au hautbois, futur membre d’UNIVERS ZÉRO et Michel Thomas au saxophone, musicien de passage) ainsi que du percussionniste Daniel Denis d’UNIVERS ZÉRO donne lieu à une mixture sonore plus homogène, moins sèche et moins austère qu’auparavant, idéale pour suggérer une traversée houleuse. Les entrelacs de cordes et les chants galériens du milieu de la pièce en sont sans doute l’expression la plus évidente. La composition suit : entre accalmies et accidents, entre attentes et conflits, entre progressions et stagnations, "Musique pour l’Odyssée" porte bien son titre. À défaut d’une référence explicite aux vingt-quatre Chants d’Homère, l’idée d’un voyage imaginaire est bien là.

"Bruit, silence – bruit, repos", au titre pour le moins abstrait, est la première véritable composition de Thierry Zaboïtzeff pour ART ZOYD. Cette pièce se place dans la continuité de "Symphonie pour le jour où brûleront les cités" tout en conservant l’esthétique maritime de "Musique pour l’Odyssée". On peut distinguer trois parties principales. La première expose le pan le plus lyrique du style musical de Thierry Zaboïtzeff. Ces deux premières minutes sont dépourvues de répétition de thème. Les deux mouvements suivants partagent quant à eux les mêmes thèmes musicaux, mais dans un ordre et un développement fort différents. Le tout est lié et structuré par un rythme monodique saccadé aux cordes, qui défie toute nomenclature sur partition. Les passages les plus impétueux, marqués par des trompettes explosives, confirment l’héritage du premier album. Thierry Zaboïtzeff affirme être un musicien totalement autodidacte, et pourtant cette composition est fascinante de maîtrise musicale et instrumentale.

L’album s’achève par une composition de Gérard Hourbette, "Trio 'Lettre d’automne'" qui, comme son titre l’indique, emploie exclusivement les deux violons et le violoncelle. Cette pièce est d’autant plus puissante qu’elle est dépouillée, plus encore que "Musique pour l’Odyssée". Dépouillée dans son instrumentation mais également dans sa structure, se 'contentant' (notez bien les guillements) de trois thèmes construits en rondo (A-B-C-B-A). Après l’eau, les cordes figurent ici l’élément air.

Musique pour l’Odyssée est le premier d’ART ZOYD publié par le label français Atem, ayant notamment édité des albums d’UNIVERS ZÉRO, PRESENT, THIS HEAT et Jean-Baptiste BARRIÈRE, souvent en collaboration avec les éditions anglaises Recommended Records ainsi que l’ingénieur du son belge Eric Faes qui, grâce à un micro-label à son nom, a publié les trois premiers albums d’UNIVERS ZÉRO.
Musique pour l’Odyssée, ainsi que les deux albums suivants, ont été réédités en vinyle par Cryonic et plus récemment en CD par Sub Rosa et en fac-similé par Belle Antique, éditions qui incluent impertinemment des morceaux du milieu des années 1980 en guise de piste bonus. Enfin, il existe un bootleg publié en 2014 au format cassette contenant la transcription radio du concert d’ART ZOYD à Stockholm, le 3 octobre 1979, interprétant "Musique pour l’Odyssée" et "Bruit, silence - bruit, repos" ainsi que "Les Fourmis" et "La ville" qui sera enregistrée sur l’album suivant, Génération sans futur. On retrouve ces interprétations de "La ville" et "Bruit, silence - bruit, repos" sur le coffret 44 ½ Live(fi]. L’interprétation de ce dernier morceau est très fidèle à l’originale, mais intègre Alain Eckert à la guitare et Patricia Dallio au piano électrique.

C'est un excellent album dont il est bien difficile de se lasser. La suite sera meilleure encore.