Il y eut ART ZOYD 3, il y a Phase IV.

Même si Phase IV est un passionnant album de musique contemporaine, il peut s’avérer rude, surtout pour un premier contact avec la musique de ART ZOYD. Il ne faut surtout pas s’y lancer bille en tête en s’attendant à de la Zeuhl façon MAGMA période Attahk / Retrospektïw, comme l’a fait votre benêt de serviteur qui s’est retrouvé totalement dépité face à cette musique absconse et si horriblement compliquée. Quelques jours plus tard, une écoute de Berlin (1987) emporta immédiatement mon adhésion mais ceci est une autre histoire.

Phase IV ne diffère pas foncièrement de ses trois prédécesseurs. Plus précisément, ART ZOYD met à plat toutes ses idées musicales, exacerbant les directions de chacun des trois premiers albums et tentant des exercices plus inhabituels, comme pour faire le vide avant d’entamer une mutation profonde. La pianiste Patricia DALLIO est temporairement remplacée par Thierry Willems. L’album est publié par le label anglais Recommended Records, fondé par Chris CUTLER, leader de HENRY COW puis ART BEARS, ayant également édité des albums de SUN RA, SLAPP HAPPY et AKSAK MABOUL.

"État d’Urgence" s’ouvre sur une suite d’accords qui n’est pas sans rappeler Köhntarkösz (MAGMA, 1974), ainsi que le bruit d’une foule en panique, un effet de style inédit et rarement reconduit chez ART ZOYD, efficace mais dont le caractère illustratif pourrait passer pour une facilité. La suite d’accords exposée en introduction constitue le fil rouge de la composition, d’abord marche militaire puis alerte lancinante. Tout l’art du contraste du groupe s’y déploie, entre le stress latent des motifs rythmiques, le grotesque des lamentations qui renvoie directement à Symphonie Pour Le Jour Où Brûleront Les Cités (flemme de trouver une formule pour abréger), la panique généralisée et la loi martiale qui ne garantit pas la réalité de cet "État d’Urgence". Véritable catastrophe ou simulacre monté de toutes pièces? La conclusion nous donne un indice.
"Naufrage" est la suite logique de "État d’Urgence"; on y retrouve cette tension par le rythme et le violoncelle libre, enrichis par les harmonies qui s’empilent. Cette fois-ci, il n’est plus question de pro-bidule ou anti-machin-chose, tout le monde est dans la même panade. Que l’on prenne le titre au premier degré ou comme une allégorie, on peut y retrouver l’observateur stoïque contemplant la fin d’un monde, sans oublier de sauver sa peau.

Suivent alors quatre pièces plus courtes, mais qui n’en sont pas plus anecdotiques. On trouve encore avec "Dernière Danse" une composition très enlevée et ciselée, moins torturée que "État d’Urgence" et plus proche de la malice des "Fourmis" (1976). Par la suite, ART ZOYD s’essaye à de nouveaux registres qui seront plus ou moins reconduits par la suite. "Et Avec Votre Esprit" est très annonciateur de l’avenir de ART ZOYD : une rythmique toujours riche avec une harmonie plus posée, plus plaquée, et une mise en valeur de l’orgue électrique, grande nouveauté de cet album, qui complète à merveille le piano électrique et dont la place sera centrale sur les deux albums suivants. La conclusion en mode mineur hérite de "La Ville" (1980).
Sur "Ballade", de loin le titre le plus enjoué de l’album, on croirait presque entendre une comptine. L’influence de MAGMA y est étonnement limpide – même si nous restons loin de la Tamla-Zeuhl bariolée telle qu’on l’entend sur "Retrovision" (1981) par exemple – en particulier avec ce petit motif en binaire au piano électrique accompagnée par une trompette syncopée, très charmant. Les "Deux Préludes" sont très intimistes. La deuxième face se conclut par "La Musique D’Erich Faes", une 'improvisation collective' de quinze secondes où l’on n’entend pourtant guère que le violon – le titre est un double clin d’œil, à l’ancien ingénieur du son du groupe ainsi qu’à "La Musique D’Eric Zann" (1981), morceau de UNIVERS ZÉRO – titre lui-même tiré d’une nouvelle d’Edgar Allan Poe.

Le second disque nous emmène en des territoires différents, nous montrant une musique aux mouvements ralentis mais non moins puissants. Le polyptyque "Chemins De Lumière" est introduit par une très lente mélodie en unisson, dont le piano est une réminiscence de "Naufrage", qui aboutit à une succession peu violente mais envoûtante de passages tantôt mélodiques et liés, caractérisés par le tremolo des cordes, tantôt polyrythmiques à la une tension harmonique continue, avec peu de répétition de thèmes, développant en cela l'épopée de "Musique Pour L'Odyssée" (1979). Le motif fixe du piano de "Du Sang Sur La Neige" en est la suite logique, mais cette composition se démarque par un développement plus éloquent, fort bien suggéré par le titre.
"Vu D'Un Manège" oppose une petite mélodie d'apparence naïve à différents motifs plus graves. Les contrastes et les disharmonies contrôlées d'une "Nuit" loin d'être paisible signent un retour aux impétuosités de "La Ville" (1980), quand les claviers jettent dans le même temps un pont vers la direction future de ART ZOYD où rythmique et harmonique se fondent. Le piano électrique a le maître mot, faisant et défaisant le rythme à sa guise. "Les Larmes De Christina" achève l'album sur une partition très évocatrice. D'une homogénéité loin d'être ennuyeuse, ce second acte touche à un état méditatif, que jamais ART ZOYD n'a développé sur une telle longueur.

ART ZOYD signe là un disque très ambitieux mais aussi très cohérent, au-delà des apparences. Un signe qui ne trompe pas : il est souvent difficile de discerner à l'oreille qui de Gérard Hourbette ou Thierry ZABOÏTZEFF a composé quoi – peut-être une raison supplémentaire du caractère relativement peu amène de cet album.

Phase IV fut réédité à deux reprises, d’abord en 1989 par Mantra Records au sein d’une compilation regroupant cet album, Les Espaces Inquiets (1983) et quelques inédits, puis en 2008 par Belle Antique avec "Manège", un bonus live de 1976 qui figurait sur un disque 7-pouces offert avec certains exemplaires de l’édition originale.