Quelques années après Nosferatu, ART ZOYD renouvelle l’expérience du ciné-concert en réalisant la bande-son d’un autre film de Murnau, le Faust de 1926. Le processus de composition reste sensiblement le même: une œuvre-fleuve unie et cohérente, tout le contraire de l’expansif Marathonnerre (1992). À la manière d’un librettiste accompagnant un opéra, ART ZOYD fait à nouveau voyager sa musique au fil des scènes, et refuse à se borner à une simple illustration sonore. La première du ciné-concert eut lieu en octobre 1993 au Pallazo Dei Esposizioni de Rome. C’est également cet album qui marque l’arrivée au sein du groupe de Daniel Denis, batteur et leader du groupe de Rock In Opposition belge UNIVERS ZÉRO (alors en sommeil), aux claviers et percussions électroniques.

L’art de la formation maubeugeoise s’est informatisé, avec d’une part le sampling d’éléments atonaux, d’autre part de nombreuses émulations électroniques: des nappes de cordes, des samples de percussions (caisses-claires, timbales), des tapis de cuivres, et même des sons de piano et de clavecin. L’album est techniquement très abouti, aucune arête ne dépasse, la musique semble couler de source. Mais voilà: Faust coule tellement de source qu’il manque de rebondissements.

Une fois de plus, ART ZOYD construit une longue suite aux thèmes dinstincts mais enchaînés, marquée par un jeu de contrastes et des éléments sonores récurrents. La principale nouveauté de ce Faust est que le groupe délaisse à de nombreuses reprises les mélodies au profit des ambiances sonores. Un changement d’orientation marqué pour un résultat mitigé. Les ambiants "Down", "Essaim", "Marais" ou "Bruissements" succèdent aux plus énergiques "Plague" ou "Irruption", mais l’ensemble manque parfois de densité musicale. La forme du recueil occasionne quelques maladresses: "Pavan" reprend quasiment tel quel "Pavane (EB 103)" de Dr. Zab & His Robotic Strings Orchestra (1992), deuxième album solo de Thierry ZABOÏTZEFF, ce qui tombe un peu comme un cheveu sur la soupe.
De beaux moments se profilent pourtant, tels que la sinistre ouverture "Down", le diptyque "Gates of Darkness", le morceau-titre, le lent "Pact" déployant de lancinantes harmonies orchestrales ou l’ambiance vicelarde de "Bruissements". À partir de "Procession" et jusqu’à la fin du disque, la composition se fait plus prégnante. Enfin, l’ultime piste "Accelerando" est ravissante, un vrai délice de polyrythmies. Cette pièce s’essouffle malheureusement quelque peu vers les deux tiers et laisse inaboutie la montée dramatique.

Quatre morceaux composés pour le projets furent écartés de l’albums et ne resurgiront qu’avec le coffret 44 ½ (2017): le court intermède bruitiste "Insectes 2", "Final 2 (Dies Irae)" développement cuivré de "Dies Irae" premier du nom, mais aussi les très beaux "Incendie" et "Marguerite Au Pilori" où les émulations de cordes et de cuivres sont du plus bel effet.
Dans ce même coffret, on trouve la suite Spoutnik, également créée en 1993, cette fois-ci créé aux festival Les Inattendus de Maubeuge. Amélodique, cette suite de moins de dix-huit minutes se rattache au projet Faust de par la création de climats sonores avec l’échantillonnage.

Malgré l’habileté d’ART ZOYD à manier les ambiances, et même si personnellement j’affectionne assez cet album pour ses ambiances maussades et ombragées, Faust demeure relativement décevant au vu des capacités du groupe. Heureusement, celui-ci saura rebondir avec l’album suivant, Häxan.