Après la fabuleuse collaboration avec Roland Petit et quelques expériences à travers l’Europe, ART ZOYD s’associe avec le metteur en scène Serge Noyelle. Marathonnerre, représentée à quatre reprises en décembre 1991 et en avril 1992, n’est pas une pièce de théâtre comme les autres; il s’agit d’une véritable performance de midi à minuit, d’où le terme "marathon". La pochette des deux albums nous donne un bref aperçu de la mise en scène: des tours de parpaings, des bouteilles, un drôle de banquet, et les acteurs au milieu. Le groupe a joué en continu durant les douze heures que dure la pièce. C’est douc une sélection de cette série de compositions que nous donne à entendre ce double album intitulé Marathonnerre – ou ces deux albums intitulés Marathonnerre I & II, selon l’édition.

Ce double album (nous le considérerons comme tel pour cette chronique) est l’une des œuvres les plus hétérogènes de ART ZOYD. Sur l’album Berlin, les morceaux étaient nettement départagés entre pièces courtes ou longues, mais le style de composition restait relativement stable. Sur Marathonnerre, nous retrouvons une telle distinction de durées, de manière moins nette et avec un style de composition plus variable. Les pièces les plus longues représentent un prolongement stylistique des deux albums précédents: séquençage et répétition, le cœur de l’idiome musical artzoydien d’alors. Un tel éclectisme découle sans doute du fait qu’ART ZOYD a alors, selon ses propres dires, collecté de nombreuses compositions éparses pour en faire la bande originale de Marathonnerre – "Mariée À La Nuit" fut interprétée en concert dès 1986 –, certains titres ayant été étirés sur des dizaines de minutes durant les performances.

Le début de l’album est particulièrement remarquable. "Complainte" et "2-Szene", au-delà de leur apparente austérité, sont une nouvelle preuve de la maîtrise dramaturgique du groupe. Plus loin, "1-Szene", "Danse De Mort" et "Prophase" opèrent dans la même direction monolithique. Mais nous avons aussi des pièces plus animées comme "Métaphase" et "Anamorphose". Le tryptique final, formé du "Lac Des Signes" encadré des "Expériences De Vol" numéros 2 et 3, est vraiment fascinant, renvoyant directement aux grandes heures de Berlin (1987) voire, soyons fous, Le Mariage Du Ciel Et De L’Enfer (1985). De même, "Anamorphose 3" me file le frisson à chaque fois.
En parallèle à la virtuose dramaturgie de Gérard Hourbette, Thierry ZABOÏTZEFF nous gratifie de pièces déjantées qui ne manquent pas de force de poigne ni de croisement d’influences. "Firebirds" mettant en valeur le chant guttural de Thierry puis reprenant le fameux thème d’Igor Stravinsky, "Mariée à la Nuit" qui montre une fois de plus sa maîtrise du séquençage, et l’OVNI "Alléluïa", absolument irrésistible. "Tocsin", "Konzo Bélé", "Fair Fair" et le très joliment méditatif "Aka Jour De Pluie" sont des pièces plus courtes mais toujours représentatives de la limpidité mélodique de Thierry ZABOÏTZEFF.

Parallèlement, nous trouvons de nombreuses scénettes diverses et variées, voyant ART ZOYD explorer des territoires musicaux inhabituels. Il peut s’agir de numéros rythmiques tels "Alléluïa" mais aussi "Barbares", "Porte De Châtillon", "AZPP", "Tournoi", de musique de chambre comme les deux "Zwichenspiel", ou le plus léger "La Belle Et La Bête", plus anecdotique. Tous ces petits morceaux sont fort bien répartis sur les deux disques et ne déstabilisent pas l’ensemble. En revanche, la partie 2 d’"Anamorphose" est parasitée par une voix chantonnante qui m’a toujours paru très contingente.

Durant cette période, en plus de divers projets tels Globe Arena et le Six-Centenaire de Maubeuge, ART ZOYD a accumulé au début des années 1990 de nombreux essais sonores, dont certains se sont donc retrouvés dans le projet Marathonnerre. D’autres encore ont été laissées de côté jusqu’à la parution de l’anthologie d’archives 44 ½ Live + or - Unreleased Works en 2017. Si "Tango Pas Beau", "Alabanjè Kalabanazà" et "Derrière La Porte" me semblent anecdotiques, d’autres morceaux présentent un intérêt certain, tels que "Théophanie" dans le style avant-pop de Thierry ZABOÏTZEFF, le labyrinthique "L’Avenir De La Musique", le rythmé "Cities", une première "Expérience De Vol" ou encore les étranges suites "Korbes" et "Flixecourt Tisserands" de Gérard Hourbette. On se prend à rêver d’un Marathonnerre III…
"Junk" est magnifique avec cette ambiance éthérée, mais repêche de nombreux sons de l’ancien "Ba Benzele" (1985). De même, "Lindbergh" recombine des éléments de l’album Nosferatu. Le répétitif "Nausicaa 2", pourtant daté de 1990, ressemble à une démo faite maison, avec un son cru, proche de l’album Prométhée (1984). On peut encore mentionner Les Trois Mousquetaires, projet de plus de trois quarts d’heure dont je retiendrai surtout l’excellent "Combat - Duel" et le trépidant "Zigzag".

Signalons l’existence d’un split album de 1990, édité par le label allemand Ear-Rational (éditeur original de l’album Nosferatu), où ART ZOYD, les deux compositeurs américains J. A. DEANE et Jeff GREINKE se partagent un tiers de la galette. On retrouve, du côté de ART ZOYD, "Mariée À La Nuit" ainsi qu’une unique piste "Caryocinèse" regroupant les futurs "Prophase" et "Métaphase" ainsi qu’une version alternative du morceau "Anaphase" (Nosferatu, 1989), avec des sonorités beaucoup plus crues, peut-être une version démo.

Enfin, près de cinq ans après ma découverte de ce double album, j’ai fortuitement découvert la provenance des samples ethniques intervenant à quelques reprises dans l’album, en premier lieu sur "Konzo Bélé" et "Aka Jour De Pluie". Il s’agit d’enregistrements de chants pygmées, recueillis dans le superbe album Centrafrique – Anthologie De La Musique Des Pygmées Aka (1978) publié par le label spécialisé Ocora.

3 ½ sur 5