Si les nouvelles offrandes de Philippe LAVIL se font rares, à un rythme tropical de plus en plus fort, la façon de faire ne change point avec ce Sous le Même Soleil sorti au printemps dernier. Plus que d'habitude encore, le chanteur qui retourne en Martinique avec plus de parcimonie désormais également, même s'il n'est pas du genre passéiste, revisite son répertoire une nouvelle fois en y ajoutant deux inédits.

Avec ses musiciens habituels, Taofik Farah (guitares), Andy Narell (steel pan/drums) etc, le chanteur embléme de la Martinique en métropole puise dans une bonne part de son album précédent (La Part des Anges, 2012), lui-même déjà constitué de redites, notamment "Ailleurs C'est Toujours l'Idéal" que l'on trouve encore ici. Déjà que le rythme de publication est ce qu'il est, si en plus c'est pour retrouver les mêmes chansons sempiternelles, on pourrait facilement trouver matière à critiquer.

Néanmoins, Philippe LAVIL ne se moque pas de son public et l'album est beau, très beau même, à un détail près. Durant les années 2020, que ce soit pour un chanteur de 76 ans ou n'importe qui plus jeune, il est devenu difficile de compter sur l'envie de sonner au plus proche du naturel, de garder la meilleure prise. On va plus vite, on 'corrige', une aubaine pour les producteurs mais une catastrophe pour les oreilles. Heureusement, loin d'être tout le temps le cas ici, on en relève toutefois les marques bien trop visibles sur cette si belle voix sur "Avec les Filles, Je Ne Sais Pas", premier tube du chanteur il y a plus de cinquante ans, sur "La Part des Anges" également.

Sous le Même Soleil est beau pour son choix d'instrumentation guitares-basse-batterie-percussions-steel drums-piano acoustique/piano électrique Fender Rhodes. Ce dernier fait parfois écho aux steel-drums quand il ne suivent pas de près comme sur "Ti Case", du plus bel effet. Un vent de fraîcheur agréable souffle sur ce disque et des chansons que l'on connaît pourtant plus que bien : "Si Marianne Etait Black" (1990), plus reggaeton que calypso, avec son couple de pianos, ses montées jazzy de Fender Rhodes délicieuses sur le pont, "La Chica de Cuba" proches de sa version sur Déménage (1994), "Il Tape Sur des Bambous" entre cette dernière et celle d'origine en 1982...

Il y a bien, comme toujours, quelques duos avec d'autres artistes. Pour commencer, au moins un autre chanteur qui s'avère être Claudio CAPEO (que LAVIL a rencontré totalement par hasard sur une plage martiniquaise) sur "Elle Préfère l'Amour en Mer", tube de 1985 où l'Alsacien délaisse ses tics habituels pour sonner Antillais au point qu'on s'y laisse prendre, moment très sympathique au final. Une fois de plus, cependant, ce sont les femmes qui comptent le plus, en importance naturelle comme en réussite artistique. Plus proche de lui, notre cher aîné retrouve sa fille cadette Lola à la voix douce, le temps d'un "Ti Case" de toute beauté.

Sur la première des deux inédites, "Ne M'Oublie Pas", LAVIL convie cette chère Viktor LAZLO, 63 ans désormais, toujours ravissante et très active même si le monde de la variété même 'caviar' l'a un peu oubliée, injustement (à lui seul, son dernier album Suds en 2021 en est la preuve). Elle comme lui sont très à l'aise sur cette jolie bossa-nova. Tout aussi gentleman (mot d'une autre époque, ouais), il tient à mettre en avant une jeune chanteuse entendue dans un restaurant, et pour qui il a eu le 'coup de foudre' : Chloé CASSANDRE. "La Fille du Train", chanson de l'album d'avant, superbe ballade chaloupée pour une scène simple mais hantée par la différence d'âge, ne lui donne que deux phrases mais quelle finesse tout de même ! On la retrouve plus amplement sur "Avec les Filles, Je Ne Sais Pas", où elle offre une équilibre parfait et plus que bienvenu à Pro-Tools et compagnie. Cette chanson-là, le chanteur 'rougit' de l'entonner à ce stade de sa vie !

Toutefois, il ne peut bouder son plaisir de folkeux, sa première grande identité musicale assumée, en tant qu'ancien élève du désormais regretté Graeme ALLWRIGHT (parti en 2020 à 93 ans). La nouvelle version de "Y a Plus d'Hiver" (1992) résonne ainsi comme un hommage de marque, avec son picking folk comme ses bandes inversées très fin de sixties/années 70, avec la basse qui agit comme une nappe de synthé, vraiment superbe.

Et puisque LAVIL ne peut lui-même nier le temps qui passe, la vieillesse qu'il ressent toujours plus, il termine mais de façon plutôt surprenante voire détonante, l'ensemble avec "Au Pays des Vermeils", deuxième inédite. Les paroles n'en sont pas moins aigres concernant le quotidien des personnes âgées, les conseils des proches, les monte-escaliers, la prostate à vérifier... Mais, toujours digne, dandy, classe surtout et tenant à donner le sourire, il dépeint l'ombre solaire d'une belle et bonne fille (aide ?) nommée justement Alice, qui tempère le reste. De quoi apporter un peu de piquant désabusé sans ôter l'élégance, la camaraderie espiègle qui convient à son rang. Et, tout de même, laisser espérer d'autres offrandes futures !