Philippe LAVIL, de son nom complet Philippe Durand de la Villejégu du Fresnay, tient ses origines de la Martinique : il est un descendant de « békés », ces habitants de France qui ont émigré sous Louis XV. Ayant grandi en métropole, il démarre sa carrière d’artiste alors qu'il fait une école de commerce, malgré la réserve de ses parents. Il est chanteur, possède une belle voix grave et chaude. Ses premiers 45 tours, « À la Califourchon » et surtout « Avec les Filles, Je Ne Sais Pas » lui apportent une modeste reconnaissance en cette fin de décennie 60-début 70, mais le confine quelque peu à une image dandy.

Il doit attendre encore plusieurs années avant de publier un 33 tours. Sur Février... en 1978, il s’affiche comme principal auteur et compositeur, mais débute aussi un partenariat rapproché avec Didier Barbelivien. Ce dernier, un musicien alors tout jeune (24 ans), n’est pas encore concerné par les caricatures que ses tubes futurs entraîneront : il est, de fait, proprement inconnu. Ses paroles font déjà ressortir une empreinte bohême et des tournures assez simplistes, plus ou moins inspirées.

LAVIL, lui aussi, se détache de ce qui fera vraiment sa renommée par la suite, les tubes des années 80 aux couleurs antillaises. En tant qu’élève de Graeme Allwright, son professeur d’anglais au lycée et principal soutien dans ses envies de carrière musicale, Philippe pose sa voix paisible sur des compositions personnelles à l’inspiration mélangeant folk américain et variété française.

Les premières notes de l’album sont des arpèges de guitare acoustique en picking et en accords ouverts par Claude Alvarez-Pereyre, grande figure du revival folk français, ici également directeur musical. Les autres musiciens se nomment Claude Samard, François Bréant, Pascal Arroyo, Emmanuel Lacordaire, Jean Mareska, Patrice Tison, Roland Romanelli... Ceux qui connaissent bien leurs Lavilliers et Goldman confirmeront qu'il s'agit d'un gage de qualité.

Les guitares slide, pedal-steel et violons country illustrent joliment des paroles à l'imagerie fortement US, tendance western ou road-movie en français, avec des parallèles géographiques et linguistiques... La participation, pour un titre chacun, de Julien Clerc et Alain Souchon (et aussi Luc Plamondon), rend ce disque autant appréciable que, à la même époque, un Eddy Mitchell ou un... Julien Clerc ! Les ballades « Le Pont » et « Février de l'Année Dernière » ne sont guère dénuées de charme, tout comme « Chinatown » et « Bonnie le Loser », dans un ton plus vigoureux. « Mon Île » est interprétée par un chanteur dont on ne soupçonne point encore les origines – il aura le temps de se rattraper !

C'est d'ailleurs ce pourquoi l'opus s'apprécie en particulier. Jamais édité en CD (seules une ou deux chansons comme « Hey Mister Lee » et « Février... » iront à la postérité, non sans être réarrangées), il propose des chansons certes pas grandioses, mais au moins agréables et joliment taillées pour la voix de LAVIL, malgré quelques arrangements bien trop chanson française. Surtout, il nous permet de comprendre à quel point le succès peut parfois fausser l'image d'un artiste, ou éclipser une de ses facettes.