Nous avions laissé ULVER en suspens avec Forgive Us à peu près à l’époque où la situation politique en France se troublait pour ne plus trop redevenir complètement nette. Le groupe norvégien nous promettait en outre d’autres surprises à venir, mais j’avoue ne plus avoir suivi tout cela.

Je ratais ainsi la terrible nouvelle courant août qui les ébranla. Dans la nuit du 16, quelques heures précédant son anniversaire, Tore YLWIZAKER décéda brutalement. ULVER partagea l’information peu après sur ses réseaux sociaux, y exprimant sa profonde tristesse et son besoin de reprendre ses esprits avant de revenir. Le chanteur Kristoffer RYGG convia YLWIZAKER à participer à Themes from William Blake’s The Marriage of Heaven and Hell en 1998, premier album où ULVER commençait à s’éloigner singulièrement du black metal de ses débuts. Il intégra ensuite à part entière la meute, contribuant à façonner un son qui demeura par la suite toujours singulier et unique.

En septembre, ULVER dévoila deux titres qu’il venait de finaliser avant la mort de Tore. Dans le même communiqué, il renouvelait son émotion ainsi que la nécessité de continuer à avancer malgré tout, arguant que son sanctuaire, c’est la musique. Il donnait donc rendez-vous en automne pour la réalisation d’un album physique qui devait marquer une nouvelle transformation du loup après cette épreuve. Un canidé meurtri mais parvenant à utiliser sa douleur comme carburant de son art. Tout finit par s’écrouler. Soyez reconnaissants étaient les ultimes phrases irradiant la publication, telle une exhortation à rester furieusement vivants.

Finalement, Liminal Animals sortit le 29 novembre 2024 en version digitale, la physique étant prévue courant mars 2025. Sa jaquette reprenait peu ou prou l’illustration mythologique du single Forgive Us semblant convoquer Pan et le capitaine Thamous qui relaya la mort du dieu des troupeaux au monde. En réalité, ce jeune homme croqué n’était autre que l’auteur de ce dessin bucolique, un certain Austin Osman Spare yeux clos comme en harmonie avec le royaume animal l’entourant, œuvre publiée en 1911 et intitulée The Senseless Seven. Malgré ces nombreux cervidés et ce qui paraît être un sanglier en bas à gauche, aucun réel animal liminaire ne figure sur cet ouvrage, ces animaux vivant en milieu urbain à proximité des humains dans une relative harmonie tels les écureuils, canards ou autres lapins. Ce concept fut employé pour la première fois par deux philosophes canadiens dans le cadre de leur ouvrage Zoopolis où, s’adossant à la notion de citoyenneté, ils s’interrogeaient concernant une éventuelle différenciation des droits des animaux en fonction de leur habitat.

Liminal Animals reprend les divers titres que distribua progressivement ULVER depuis fin 2023, tant et si bien que seul le dernier s’avérera inédit si vous avez suivi méthodiquement cet égrenage épisodique. D’après son entête et son ample durée, il semble que la pièce emprunte son contenu lyrique complet au poète austro-hongrois Georg Trakl, fer de lance majeur de l’expressionnisme et inaugurant déjà le fameux club des 27 qu’il intégra à la suite de sa mort d’une surdose de cocaïne en 1914. Helian est une de ses œuvres les plus fameuses, de laquelle transpirent ses angoisses existentielles et ses obsessions solitaires et nocturnes – un des vers cite même Pan… ! "Helian", le morceau, est l’unique à s’avérer totalement aventureux, créant une transe tribale dans la lignée d’autres pièces massives précédentes comme celles clôturant les deux albums lives organiques Hexahedron ou Grieghallen.

Ailleurs, hormis encore l’instrumental cotonneux "Nocturne #1", ULVER se complaît dans une forme d’immobilisme peu raccord avec la versatilité dont il faisait preuve jusqu’ici et constituant le réel sel de son art. Liminal Animals est en effet le troisième disque synthpop de son géniteur, si on oblitère la parenthèse cinématographique Scary Muzak, la relative anomalie d’une carrière jusque-là imprévisible. Malgré tout, les compositions ne sont pas mauvaises en soi, convoquant des musiciens talentueux et un vocaliste hors du commun, mais elles sont moins définitives, tel ce "Forgive Us" aux couplets superbes gâchés par un refrain soupe gospel presque variétoche.

En réalité, la messe était dite dès le titre initial. On répète toujours les mêmes mots chantait RYGG. "Ghost Entry" inscrivait une ligne supplémentaire à la mythologie ULVER mais sentait déjà sous couvert d’ironie que la page actuelle serait plus difficile à tourner que les autres. Peut-être la reconnaissance, qu’elle soit publique ou critique, ou la dangereuse zone de confort finalement atteinte après moult efforts. À moins que simplement l’inconscient n’ait parlé.

2.5/5 objectivé en 2 sévère toutefois assumé.