J'ai une nouvelle stratégie, elle s'appelle pas de stratégie. Et j'ai une nouvelle manière de vendre plus de musique, ça s'appelle faire de la meilleure musique. C'est sur ces douces paroles que notre vieil ami Kanye WEST introduit son album lors des interviews. Toujours aussi mégalomane et amoureux de sa propre personne, le rappeur décide de sortir un album avec une technique bien différente du matraquage promotionnel auquel on était habitué jusqu'ici. Non, là il sort un album sans single qui mettrait l'eau à la bouche, sans même de pochette. Vous avez bien lu, il est question ici d'un simple boîtier avec un bout de scotch rouge. Bon, le concept s'était déjà vu auparavant (on se souvient notamment de l'album True Magic de MOS DEF), mais il faut avouer que venant de la mégalo-star, un album sans promo, ça paraît inconcevable.

Mégalo, vous dites ? C'est rien de le dire. Le bonhomme a fait appel à pas mal de monde : DAFT PUNK produit pas mal de titres, Kid CUDI ou Franck OCEAN. Jusque là, rien de bien étonnant, c'est assez classique. Mais quand on voit sur la piste 3 un duo avec... God ?! Qui ça ?!? Il me semble qu'il y a une err... eh bien non, Kanye WEST a bel et bien osé inviter un inconnu qu'il a baptisé GOD pour son morceau. Waouh ! Peu auraient osé, c'est chose faite.

Par son contenu, l'album serait plutôt à classer du côté de 808's Heartbreak que du reste de sa discographie. Il utilise un son très numérique et peu naturel. Et ce n'est sûrement pas le premier titre "On Sight" qui me fait mentir, dont le son est propre à faire grincer des dents au début, pour devenir de plus en plus audible au fil des secondes. Ultra-agressive, cette manière de procéder dès le morceau d'ouverture. L'instru se révèle rapidement déplaisante car bien trop survoltée et électro pour nos petites oreilles. Le très énergique "Black Skinhead" reprend le flambeau avec une instru moins folle, ce qui aboutit à une piste bien plus agréable, dans la même teinte que "New Slaves" qui mélange pas mal d'instrus dont certaines vont aller chercher très profond dans les basses, mention spéciale pour la fin du titre à l'ambiance opposée au reste du morceau, vraiment sympathique.
Ne passons pas à côté du featuring avec Dieu sur le titre explicite "I Am A God" dans lequel Kanye WEST nous prouve encore une fois qu'il a un orgueil au-dessus de la moyenne. Certains jugeront cette provocation agaçante, d'autres que le rappeur devient ridicule. Quoi qu'il en soit, les AHHHHHHHHH ! criés durant le morceau lui donnent, en complémentarité avec l'instru, un côté sombre et inquiétant.

Ce qui m'étonne, c'est que le côté agaçant et lourdingue que j'avais trouvé à 808's Heartbreak n'est plus présent ici. Peut-être est-il plus agréable que le rappeur chante avec agressivité comme il le fait tout au long de cet album, qu'avec prévisibilité comme il le faisait sur son autre album typé électro. De plus, on a même le droit au solo de guitare de "Hold My Liquor". Grosse dose d'auto-tune sur le décevant "Blood on the Leaves", tandis que "I'm In It" n'arrive pas à m'atteindre. Fort heureusement, la participation de Kid CUDI sur "Guilt Trip" est sympathique, bien qu'encore une fois truffée d'auto-tune. Mais on pardonne Kanye WEST parce qu'il a le don de toujours finir sur un morceau excellent, ici c'est "Bound 2" à l'instru ultra- diversifiée et super originale. Ce titre est d'ailleurs à classer d'ores-et-déjà comme un succès du rappeur réécoutable à volonté.

Un album de plus au compteur du rappeur, ça fait déjà son sixième. Yeezus est bien loin de The College Dropout, mais il faut se rendre à l'évidence : les temps changent et Kanye WEST doit être le rappeur qui éprouve le plus le besoin de se caler avec son époque. Ce besoin constant d'évolution est à double tranchant. Dans tous les cas cet album sortant sans aucune promotion pourrait bien être une stratégie efficace qui nous ferait croire que le rappeur ne pense pas qu'au fric et à la notoriété, et qu'il est bel et bien là pour partager sa musique et non renflouer son compte en banque – qui, soit dit en passant, ne doit pas être dans le rouge, ce qui pourrait expliquer cette stratégie, mais bon.

Cet album qui se voulait hors-du-commun, par son absence de pochette et de promo, se révèle solide et ultra-agressif. La plupart des titres demeurent assez sombres, certains originaux et d'autres mauvais dans une moindre mesure. Des chefs-d'oeuvre comme "Bound 2" sont à écouter et réécouter, "New Slaves" et "Black Skinhead" sont aussi deux petites bombes, "Hold My Liquor" et "On Sight" tirent leur épingle du jeu. Pour le reste, c'est un peu plus mou et moins accrocheur.