AN TRISKELL, un nom qui paraît si évident ; les profanes eux-mêmes reconnaissent aisément l'un des symboles les plus caractéristiques de la cosmogonie bretonne. Les trois éléments, la terre, l'eau et le feu, s'unissent à nouveau pour prêter de leur magie à un groupe tout jeune, constitué d'Alain Morizur (flûte irlandaise, mandoline), de Pol Brieg Ruban (violon) et des frères jumeaux Quefféléant, Pol et Hervé, chanteurs et guitariste pour l'un, banjoïste pour l'autre.

Mais en fait de magie pour l'heure, on parle pour l'instant de formation « en vogue », dans l'air du temps, ou plutôt celui d'un climat breton en pleine effervescence. Les gars de Brest sont bien décidés, certes à faire valoir leur amour du folk américain et irlandais, mais aussi, sur conseil avisé du grand Pete SEEGER en personne, de soutenir leur propre patrimoine. La rencontre, à la fois physique et musicale avec Alan STIVELL est décisive -comme pour beaucoup d'autres camarades bretons-, au point qu'Hervé Quefféléant décide "d'apprivoiser" une harpe à cordes de bronze...

Leur premier album Dañs Plinn, paru à l'orée de l'année 1973 chez Phonogram/Philips, joue sur cette ambivalence. D'un côté, les ballades folk à l'américaine, avec guitares en picking (arpèges) et banjo bluegrass, de l'autre les emprunts déjà nombreux à la musique bretonne, tantôt axés sur le violon de Pol Brieg, généralement des danses, tantôt favorables à l'introduction de la harpe d'Hervé Quefféléant. Celui-ci possède une voix plus grave que son frère Pol.

Le versant "chanté" de la musique d'AN TRISKELL n'est pas sans rappeler le TRI YANN des débuts, à la même époque justement et avec moins de cocasserie bien entendu. Sur les kan ha diskan autant que les gwerz/ballades, le chant du Brestois Pol Quefféléant se rapproche parfois beaucoup de celui du Nantais Jean-Paul Corbineau, un beau chant également, sans être aussi expressif toutefois. C'est Hervé qui interprète la jig "Follow Me Up to Carlow", un clin d’œil aux DUBLINERS dont tous sont grands fans.

Le violon introduit "An Crubach" avec beaucoup de feeling, et ce début d'album propice à une suite de chansons complète nous fait joliment passer du kan ha diskan de "Araok Mont da Soudard" à la country bluegrass virevoltante d'"An Erminig" puis, loin de tout cela, à "Jenovefa". Cette gwerz merveilleuse et encore peu enregistrée à l'époque, se voit ici transcendée dans l'un des plus beaux arrangements qu'elle ait connu grâce à la harpe, au violon et aux chœurs féminins de Danièle Licari. Plus loin, la "Gwerz Penmarc'h" procure la même sensation.

AN TRISKELL révèle déjà une certaine maîtrise dans un style de complaintes, mais aussi de tout morceau concerné par une intervention de harpe comme l'enchanteur "Hanter-Dro". Cependant pour ce premier effort, qui n'est rien moins qu'un très bon disque, on peut encore mentionner des morceaux plus enlevés et une fin d'album très réussie avec notamment un "Pa Oan Ouzh Taol" très distingué avec son couple voix-whistle. La flûte irlandaise ferme joliment l'album par l'un des airs de danse bretonne les plus célèbres, sur fond de mandoline et de violon endiablés. Quel charme !

Ce n'est pas l'expérience la plus connue du collectif, mais elle est déjà largement représentative de son univers. Simplement, l'empreinte est pour l'heure moins "onirique" que résolument traditionnelle.