Dans les années 1970, malgré l'ascension fulgurante du hard rock (que l'on appelle déjà heavy metal dans certains bleds) et la course à la violence qui continue de battre son plein dans l'industrie du genre, eh bien la mode est au prog. Un prog riche en claviers, en structures évolutives de toutes sortes et en albums ceonceptualisés à mort comme des recueils de poésie interminables. Si dans les années 1980, de nombreux groupes de hard rock seront victimes de la mode FM et tomberont souvent volontairement dans une certaine forme de guimauve (y compris BLACK SABBATH, mais à des degrés moindres celà dit), et bien dans les années 1970, tous ces groupes suivront le mouvement et verseront un bol de prog dans leur marmite fumante (ou fumeuse).

En 1973, BLACK SABBATH fait donc comme tout le monde mais nous sort le grand jeu en invitant ni plus ni moins que Rick Wakeman, l'organiste de YES, à venir jouer de ses claviers électro-clinquants sur le cinquième opus du groupe. BLACK SABBATH commençait déjà à expérimenter sur son précédent effort, l'excellent Vol.4 (1972). Sabbath Bloody Sabbath confirmera cette tendance et ira encore plus loin, en proposant des morceaux à plusieurs niveaux de lecture, tant riches en riffs lourds qu'en synthés électroniques barrés (en témoigne l'étrange "Who Are You ?")

Le premier morceau de ce chef d'oeuvre, "Sabbath Bloody Sabbath", est pourtant assez classique du son originel du Sabbath, puisque ce sont des riffs lourds et lugubres qui emplissent l'atmosphère alors que le disque n'en est qu'à ses premier tours de platine. Le riff légendaire de ce morceau culte du Sabb a été tellement copié et recopié dans l'histoire du metal que l'on pourrait établir des listes très longues de tous les groupes qui s'y sont amusé.

Si BLACK SABBATH ne s'est toujours pas calmé en termes de riffs mammouthesques (ainsi que le prouve "A National Acrobat", monument de guitare lugubre), en revanche la finesse de composition est plus que perceptible ici : les riffs ne débouchent jamais sur des structures convenues, tout est surprenant de bout en bout, bref, ça sent le prog (et la dope) ...

Les essais progressifs de BLACK SABBATH laissent transparaître de l'évolution future du groupe sous plusieurs aspects : tout d'abord, ils préfigurent les expérimentations diverses qui auront lieu sur les trois albums suivants (Sabotage, Technical Ecstasy, et bien sûr Never Say Die), mais ils présagent surtout de la volonté du groupe de produire de longs morceaux épiques, à la progression construite et marquée. "Killing Yourself To Live" n'annonce-t-elle pas, 7 ans avant, la magistrale et fantastique "Heaven And Hell" ?

La continuité solaire et lumineuse avec Vol.4 est ici assurée par l'utilisation de guitares acoustiques rayonnantes (notamment sur la sublime instrumentale "Fluff" et sur l'intro de "Spiral Architect") et les envolées épiques de "Sabbra Cadabra" et de "Looking For Today", véritables joyaux, finement composés, aux riffs excellents de bout en bout et aux grooves recherchés. Ozzy Osbourne signe ici peut être son meilleur album avec BLACK SABBATH, tant sa voix est juste et magnifiquement exploitée, même si elle n'est pas énormément mise en valeur au niveau du mixage.

"Spiral Architect", morceau éminement progressif (rien que le nom, déjà), achève l'album sur une note étrange : des applaudissements surgissant de nulle part et un groupe qui reprend le riff principal en fond sonore ... Tout l'album est à l'image de la duallité bien/mal de la pochette (qui préfigure là aussi déjà le concept Heaven And Hell de l'époque Dio) : sombre mais enjoué, lumineux mais obscur, bref totalement ambigu de bout en bout comme l'était déjà Vol.4 un an auparavant.

Sabbath Bloody Sabbath a été le deuxième disque de la bande à Iommi que j'ai écouté après Sabotage, et j'ai mis plusieurs années avant d'en saisir toutes les nuances, toutes les colorations, et encore de nos jours, lorsque je l'écoute, j'y redécouvre sans cesse de nouvelles choses. Un chef d'oeuvre, certainement l'un des albums les plus expérimentaux du Sabb, et l'un des plus fascinants ...

5/5 ? Ben oui, forcément, quelle question ! Pfff ...