Pouvaient-ils aller plus loin encore dans l'étrange ? Plus loin encore que les contrées au-delà du temps et de l'espace dans lesquelles ils avaient provisoirement élu domicile via leur exploration de la Metal Box ? À en croire ces Flowers of Romance, John Lydon et les rescapés Keith Levene et Martin Atkins étaient parvenus à franchir les frontières de l'irréel et du cauchemardesque, le temps d'un autre album hors du commun.

Ne vous laissez pas séduire par le charmant minois de Jeannette Lee (la réalisatrice / agente / pin-up fangirl goth attitrée du groupe depuis ses débuts) et sa rose : votre imprudence pourrait vous coûter très cher. Si Metal Box oscillait entre le rêve et la réalité, la séance de torture infligée par The Flowers of Romance semble bien réelle. Fasciné par l'esthétique et l'aura de la Renaissance, impressionné par les percussions de l'excellent troisième album de Peter GABRIEL, épuisé par les séquelles de "Paris Au Printemps" et par un douloureux séjour en cabane, suite à une bagarre de troquet en Irlande, à laquelle participa un flic en civil zélé, John Lydon fait subir à PUBLIC IMAGE LIMITED sa première métamorphose. C'est le début d'une période tribale, foutraque et chaotique, qui ne prendra fin qu'en 1986 et dont The Flowers of Romance est indubitablement le sommet (en studio).

Le post punk primitif et les ambiances cold kraut dub de Metal Box (quoique le kraut façon Ege Bamyasi de CAN n'est jamais très loin) ont cédé à une espèce de rituel tribal où errent des embryons de shoegaze, de noise rock, d'indus, de musiques orientales, le tout prenant place dans un trip sépia étouffant et sans échappatoire où Jérôme Bosch cohabite avec Gaspar Noé.
Oui, John et ses comparses n'allaient pas bien du tout à l'époque. Érigeant la misanthropie la plus destructrice en première de toutes les vertus. Il suffit de jeter un coup d'œil aux paroles assassines et profondément dérangées du faux calme "Track 8" (sur lequel John flingue une journaliste peu réceptive à sa musique) pour saisir l'entière radicalité de l'œuvre. Les pilonnages rythmiques sans aucun répit de "Under The House" et "Francis Massacre" ou la guitare cruelle de "Go Back" (pamphlet anti bolchos / nazillons) achevant de vous convaincre que vous êtes bien à l'écoute du disque le plus haineux et pervers jamais publié. Un recueil d'incantations à la POP GROUP souillé de bile rance et de gerbe d'où parvient à s'extraire un tube en la personne du morceau éponyme, étonnamment dansant et qui s'offrit un bien joli succès. À côté de ce chef-d'oeuvre de noirceur, les lamentations de Robert Smith et Trent Reznor sont propices aux moqueries. En cette année 81, seul KILLING JOKE et son terrifiant "What's This For" sont susceptibles de faire de l'ombre aux orchidées de Lydon (le classique "Banging The Door" n'ayant rien à envier en matière de sauvagerie tribale à ses illustres voisins que sont "Unspeakable" ou "Butcher"). Quand on sait que Martin Atkins, fou furieux magnifique derrière ses fûts et véritable architecte sonique de ces "Flowers of Romance", ira prêter main forte à Jaz Coleman et ses disciples en 1990 sur le monstrueux Extremities.

Un album essentiel d'un PUBLIC IMAGE LIMITED encore bien avant- gardiste qui, s'il n'atteint pas les sommets de cohérence ni le climat d'envoûtement permanent de Metal Box, reste une pierre angulaire de l'afterpunk et du son des années 80. En attendant que John aille voir au Japon si les plantes sont aussi agressives qu'en Occident.