Douglas McGowan figure parmi les très rares producteurs à envisager la musique non pas exclusivement en terme lucratif mais, et surtout, en terme affectif. Il s'agit visiblement pour lui d'une authentique passion. Passion qui le pousse à s'exprimer par le média vidéo quand il réalise des documentaires ou des interviews sur ses musiciens préférés (Konrad, Matthew Young, Laraaji...). Non content de produire des albums, tant au sein de son propre label Yoga Records qu'à l'extérieur, il exerce aussi une activité littéraire. Il est co-auteur par exemple du roman graphique (Grafic Novel) "Nature of the Beast" et rédige aussi à l'occasion des essais sur diverses techniques d'écritures qui ont été publiés dans la série "Now Write!" qui donne des conseils aux écrivains en herbe pour les aider à aborder les différents genres littéraires. (scénarios de séries télévisées, romans ou nouvelles de Science-Fiction, Fantastique, Thriller, Policier...).
La diversité de ses activités fait de lui un homme assez complet, au carrefour de l'artiste, du critique et de l'archiviste.

The Microcosm est le second volet d'une rétrospective entièrement consacrée à la musique Ambient. D'ordinaire, les rétrospectives ne s'adressent pas vraiment aux adeptes du genre parcouru mais plutôt à ceux qui voudraient s'initier à la découverte d'un genre méconnu voire totalement ignoré. Or, The Microcosm, (Visionary Music of Continental Europe 1970-1986) présente l'originalité fort bien venue de s'adresser aussi bien aux connaisseurs qu'aux grands débutants. En effet, Douglas McGowan ne se contente pas de sélectionner les artistes les plus représentatifs de l'ambient, les grosses pointures incontournables si communes dans ce genre de compilations. Au contraire, il s'évertue à aller dénicher des artistes peu connus voire franchement obscurs qui se trouvent à la périphérie du panthéon usuel. On le sait, pour un VANGELIS, un POPOL VUH ou un ASHRA TEMPEL, combien d'artistes honnêtes voire talentueux n'ont jamais réussi à ou voulu percer dans le système? Douglas McGowan offre pour ainsi dire une tardive reconnaissance à nombre d'artistes qui figurent dans ce second volume : c'est ainsi que les amateurs éclairés risquent de faire ici des découvertes intéressantes.
Comme son sous-titre l'indique, cette rétrospective s'intéresse uniquement à la scène new age qui sévissait en Europe continentale durant les années 70 et 80, ce qui implique logiquement la forte présence des Allemands (ASH RA TEMPEL, POPOL VUH, Peter Michael Hamel, Roedelius, Deutsche Wertarbeit, Karl Schaffner& Lothar Grimm) avec leurs Cosmic Music et Krautrock d'auguste mémoire. Mais la scène française n'est pas négligée non plus avec Ariel Kalma et Bernard Xolotl qui réservent respectivement leur lot de surprises. L'Italie est représentée par Francesco Massina et la Suède par Ralph Lundsten, la Grèce bien évidemment par VANGELIS lui-même, même si le titre sélectionné reflète l'époque où il travaillait en France. Enfin, Enno Velthuys et Robert Julian Horky représentent respectivement les Pays-Bas et l'Autriche.

Pour présenter sa rétrospective, Douglas McGowan ne se moque pas de son destinataire. Le livret accompagnant les deux CD de cette double compilation est particulièrement soigné dans la mesure où chaque artiste bénéficie, en plus de son portrait, d'une présentation équitable en terme d'espace, qu'ils soient aussi renommés que VANGELIS ou méconnus (du moins en France) comme Enno Velthuys ou Karl Schaffner & Lothar Grimm. Très instructives, les notes prennent souvent la forme d'un entretien récent avec l'artiste lui-même, qui se souvient alors de l'époque couverte (1970-1986), et nous livrent des témoignages intéressants sur leur démarche artistique d'alors et sur le caractère artisanal d'exécution de leur musique quand les synthétiseurs et autres claviers électroniques nécessitaient l'utilisation manuelle et non programmée des boutons et autres modulateurs du son pendant que l'autre main actionnait les touches sur le clavier.

L'Ambient est un style de musique difficile à appréhender, aux confluents du Krautrock, du psychédélique et du New Age. Douglas McGowan a le mérite et la bonne idée d'en proposer une définition au sein d'une préface passionnante.
Il va de soi, si vous êtes absolument réfractaire à l'Ambient, que vous pouvez passer votre chemin ; cette rétrospective n'a aucune chance de vous convaincre. Mais si vous avez l'esprit ouvert et curieux de découvertes, alors laissez-vous porter par cette compilation très bien faite. Au-delà des pointures dont les titres sont incontournables, c'est-à-dire la sublime "Création du Monde" de VANGELIS, toute en apesanteur réflexive (extrait de L'Apocalypse des Animaux, 1973, son chef-d'oeuvre), l'envoûtant "Le Sourire Volé" (1975) de ASH RA TEMPEL (extrait du Berceau de Cristal, 1975) et l'extatique "Brüder Des Schattens- Söhne Des Lichts" de POPOL VUH (extrait de Nosferatu, Fantôme de la Nuit, 1979), l'amateur éclairé pourra y faire de jolies découvertes, comme le très introspectif "Bön 5 -Förlat Oss Vara Skulder" du Suédois Ralph Lundsten, l'étonnant "Cometary Wailing (Night Plateau)" du Français Bernard Xolotl qui débute comme le fameux "Moogetique" de Klaus SCHULZE (extrait de Body Love 2) avant de sonner comme le Manuel Göttsching de Inventions for Electric Guitar avec ses boucles de guitare et de claviers hypnotiques.

D'autres titres, sans être désagréables, demeurent quant à eux plus anecdotiques. C'est le cas du "Einklang" (1979) de Peter Michael Hamel, très proche des travaux ambient de Brian ENO. Le "Untitled" (1979) de Francesco Messina, avec son piano répétitif, se tourne davantage vers l'école minimaliste de Philip GLASS et de Steve REICH sans grande originalité toutefois. Le très new age "Orguitar Soir" s'étire en longueur ennuyeuse.

Le deuxième CD se révèle plus audacieux et donc plus cohérent, comme le très pulsé "Dance for a Warrior" de Robert Julian Horky, assez proche de certains travaux évolutifs de TANGERINE DREAM, le lancinant, tout en circonvolutions lascives, "Caravan" de Karl Schaffner, le bien nommé "Shiva's Dance" (1983) de Suzanne Doucet & Christian Buehner, en pulsations extatiques, "Wenn Der Südwind Weht" de Roedelius s'offre comme une vignette intime épousant les humeurs de son créateur. La palme du meilleur titre revient au très beau "Der Grosse Atem" (1981) de Deutsche Wertarbeit sous le patronyme duquel se cache en vérité Dorothy Raukes qui improvise ici de fort belle manière avec le son grave et velouté du Korg 3300.

Cette sélection ne saurait bien entendu prétendre à l'exhaustivité, elle constitue néanmoins en soi un échantillon fort intéressant de la scène cosmic music/ambient qui traversa l"Europe à cette époque.
Il est surprenant de constater que les sons électroniques entendus ici ont gardé une certaine fraîcheur et ne sonnent pas du tout ringardisés. L'Ambient est tellement abstraite qu'elle touche une forme évidente d'intemporalité.