Si on vous demandait de choisir un seul nom d'un domaine musical qui n'est pas du tout le vôtre, le premier réflexe serait de lancer "Aucun !" d'un air péremptoire. Dans le cas où vous êtes joueur et sans prendre trop de risque, vous direz "À la rigueur..." Au milieu des chanteuses pop à succès les plus critiquables, mon choix se porte sur SHAKIRA. Sans considération physique : le corps athlétique et les fesses qui roulent en dansant, je m'en fiche (NDLR : pas nous !). Je lui trouve juste un visage superbe, hélas(NDE : mille fois hélas !) elle n'est plus brune depuis longtemps, avant même d'avoir obtenu un succès planétaire.

C'est plus une question de sympathie, pour le visage et la voix particulière qui l'accompagne, malgré des tubes que j'aime mieux fuir ("La Tortura", "Waka Waka (This Time for Africa)", la reprise de Francis CABREL...). Et puis vous connaissez le boss Erwin, quand on est intéressé par un ou une artiste même de loin, il faut tout chroniquer (NDE : et comment, je vous surveille !)! Le jeu est formateur, au moins parce qu'il amène à découvrir peut-être des perles méconnues et, dans le cas présent, explorer la période obscure de la carrière de l'artiste colombienne : ses débuts.

Fille d'une mère colombienne (Ripoll) d'ascendance espagnole et d'un Américain aux origines libanaises (Mebarak) dont elle hérite les deux noms de famille, Shakira Isabel est la seule enfant de ce mariage mais elle à huit demi-frères et soeurs du premier mariage de son père. L'un d'eux se tue dans un accident de moto alors qu'elle n'a que deux ans, ce qui affecte profondément la famille. Son sens humanitaire est réveillé de plus belle un jour où son père l'amène voir des orphelins ; elle se promet alors d'aider un jour ces malheureux enfants.

Elle demande à son père de lui offrir une machine à écrire et une première chanson lui vient à 8 ans. Pour continuer sur le plan artistique, comme elle est une enfant hyperactive, mise sous traitement, elle débute la danse à l'âge de 10 ans. À l'adolescence, elle est déjà une petite célébrité dans sa ville natale de Barranquilla, la quatrième plus grande de Colombie, située au nord du pays sur la côte Atlantique et souvent appelée La Puerta de Oro de Colombia (la porte d'or), dont le carnaval est très célèbre. De manière à la fois laborieuse et rusée, SHAKIRA parvient à dénicher un contrat avec la filiale locale de Sony Music, pour trois albums. Elle n'a même pas quinze ans.

Magia paraît en 1991, période propice aux chanteuses pop dont les albums sentent bon la dance music et quelques slows pour enjoliver, dans un esprit totalement à cheval sur les années 80 et 90. Sans surprise, c'est ce que l'on retrouve ici, mais SHAKIRA à un autre atout : son sang de latina. Les années 80 ont beaucoup regardé vers l'Afrique, mais après le succès de tubes comme la reprise de "La Bamba" par LOS LOBOS en 1987 et "La Lambada" de KAOMA en 1989, la tendance s'inverse sur les dix-quinze années à venir et les Amériques du Sud, Caraïbes comprises, vont connaître une heure de gloire qui n'est toujours pas terminée à l'heure actuelle.

Ce premier disque qui se fond dans la masse : les synthés-cuivres nous agressent dès le début de "Esta Noche Voy Contigo", les rythmes sont forcément programmés, la basse aussi (sauf, très curieusement, sur le remix hip-hop de "Lejos de Tu Amor" !), le piano est un modèle électronique en vogue... Tout n'est pas rebutant, les effets exotiques/antillais ne sont pas aussi kitschs qu'on pourrait le croire, il y a une ou deux belles partitions de choeurs et autant de rythmes sympas...

SHAKIRA n'a bien sûr pas encore la maturité de sa voix telle qu'on lui connait, mais on décèle déjà certaines de ses touches "lyriques" notamment quand elle chante grave, sur "Cazador de Amor" par exemple. Au passage, c'est le seul titre "rock" et le meilleur de l'ensemble, puisqu'on parlait de perles méconnues ! Oui oui, ce registre convient bien à la fillette. Sergio Solano se fait particulièrement plaisir, ajoutant un solo court mais chouette et ponctuant le final par un beau son de guitares jumelles ! Nettement meilleur que son intervention sur le morceau-titre, slow médiocre.

Adolescence oblige, les refrains sont rose bonbon, les mélodies langoureuses sur les ballades mais aussi sur les titres funk dansants. Quant aux textes, n'en parlons pas, c'est vite vu ! Certes, on débute par un "Sueños" mignon, Solano met des intentions très hispaniques et séduisantes sur sa guitare nylon et SHAKIRA n'en fait point trop dans ses aiguës. Certes, "Necesito de Ti" fait intervenir un saxophone, on apprécie. Mais après un début aux claviers jolis, "Cuentos Conmigo" se fond dans un ensemble trop sucré et cheap (les choeurs, le solo de sax-synthé).

Il reste une autre bonne chanson, "Gafas Oscuras", la toute première de SHAKIRA écrite à 8 ans, et au texte lui par contre vraiment poignant : à son petit âge, elle s'adresse à son père qui portait des lunettes noires (gafas oscuras) depuis le décès brutal de son fils. Elle a du talent, c'est indéniable ! Après, le talent reste aussi ce que l'on en fait. En tout cas avec deux/trois atouts en chanson et un remix sympa sur une courte durée (30 minutes), Magia n'a pas à rougir face à d'autres efforts de jeunes chanteuses similaires – la même année, en 1991 et beaucoup plus au nord, Alanis MORISSETTE par exemple ne fait pas aussi bien !