Diantre Palsambleu ! Mais qu'est-ce donc que cette pochette de couverture ? Voilà notre Nino armé d'une gratte psychédélique qui sort d'un œuf ? A ce stade de sa carrière et après avoir connu les énormes succès que sont "La maison près de la fontaine" et "Le sud", c'est comme s'il se tirait une balle dans le pied. Cette pochette et ce titre sont forcément rebutants pour les fans lambdas de variété qui aiment le chanteur. On était en droit de s'attendre à du marketing plus efficace, c'est comme si FERRER voulait se donner un handicap. Son tempérament de rebelle continue de lui faire prendre des décisions douteuses pour la suite de sa carrière. Il suffisait franchement d'enrubanner le tout dans un ensemble simple à comprendre pour le tout venant pour que l'album se vende bien.

Le premier single "Alcina de Jesus" lance l'album sur un ton résolument prog. Il s'agit d'un slow drivé par un piano bavard où Nino narre le quotidien d'une travailleuse émigrée pendant que les révolutions grondent, un titre un brin "décalé". Mais la postérité n'a retenu qu'une seule chanson de cet album, le single suivant qui paraîtra l'année d'après, un hommage à l'une de ses fans décédée dans un accident de voiture à l'âge précoce de 19 ans : la "Chanson pour Nathalie" le voit retrouver les accents de ses grands succès tels "La maison près de la fontaine", avec notamment une très belle orchestration.

Deux chansons évoluent dans la langue de Shakespeare, écrites toutes deux avec l'aide de la belle Radiah FRYE. J'aime bien "Southern Feeling" mais il manque la belle noire pour le doubler sur les paroles en anglais, c'est un manque certain, dommage car il nous reste au final un petit blues sympa à fredonner. C'est un peu la même analyse sur "Papagayo Frog", le titre est lent et bluesy, avec un joli solo de guitare.

Deux chansons sont destinées aux enfants : "Chanson pour petit bout" est comme son nom l'indique une berceuse. Elle est désarmante de sincérité, une certitude que l'artiste s'adresse à un être aimé. C'est court mais la mélodie est superbe et addictive. Encore un titre sur le thème de l'enfance avec "Daddy tarzan", joué comme un petit blues sans prétentions, où Nino rajoute des parties parlées qui rappellent ses premiers exploits. Drôle de calcul pour un artiste qui souhaite échapper à son statut d'amuseur !

"Moon" est un titre variété jazzy drivé par un piano bien trépidant. On pense à Gilbert BECAUD ou Claude NOUGARO alors que le sujet quasi ésotérique surprend. Les choeurs sont élégants et le sax tient fort bien sa place, et le voilà qui singe la Castafiore en reprenant l'air des bijoux ! Tout ceci est bien psychédélique au final et nul doute que l'artiste a dû s'éclater comme un petit fou en enregistrant ce morceau très original, cocomposé par son pote italien Giombini.

Ambiance intimiste sur "Les morceaux de fer", où le chanteur replonge dans les effluves et les orchestrations flower proggy. Un titre ambitieux à la basse aquatique et aux paroles prophétiques, les thèmes écolos y reprennent le pouvoir. Il fallait s'y attendre, avec cette pochette où l'innocent Nino sortait de l'oeuf, et voilà un solo de flûte pour bien enrober tout ça, allez ! Enfin, le "Blues des chiens", interprétée sur un ton monocorde par le chanteur, est un rythme raide et plutôt funky.

Nous étions en droit de nous attendre à un naufrage en règle avec cette pochette calamiteuse. Mais il n'en est rien. Nino continue de proposer de jolies chansons dont la vibrante "Chanson pour Nathalie", qui méritait une plus grande destinée. C'est une rengaine avec le temps qui passe. Les albums de Nino sont le plus souvent équilibrés, mais ne dépassent pas la note de 3 s'ils ne disposent pas d'un morceau classique pour les propulser vers une aimable postérité. Artistiquement, tout ceci se tient, mais historiquement l'opus est perdu dans la discographie de Nino FERRER.