Nous sommes en 1992 et cela fait près de trois ans qu’Ann PEEBLES n’a rien enregistré depuis "Call Me", l’album le plus faiblard de sa discographie. Certes, le label Waylo, sous marque de Hi Records, avait publié quelques titres Live de la chanteuse captés lors d’une tournée européenne en compagnie de Lynn White, Otis Clay et David Hudson, sous la forme d’un double CD mais c’est à peu près tout. Ann se produisait sporadiquement sur le territoire américain, sans faire trop de vague.

Aux Etats-Unis, Ron Levy, un ancien organiste (BB KING, Albert KING, Earl King, Roomful Of Blues) devenu producteur arrangeur, n’avait pas oublié l’émotion que pouvait retranscrire Ann Peebles qui a contrario de nombreuses chanteuses Soul était capable d’écrire ses propres chansons. Levy décidait donc de relancer la carrière d’Ann avec ce nouvel opus.

Enregistré au Studio Six, salle d’enregistrement de Terry Manning, ancien photographe, producteur et ingé-son de la Stax et des Studios Ardent, sous la houlette de Levy, Full Time Love bénéficie également du savoir-faire de Don BRYANT (époux à la ville d’Ann PEEBLES) et du guitariste Thomas Bingham (ex-Al GREEN, Shirley Brown, Roebuck "Pops" Staples).
La première écoute se révèle particulièrement croustillante. On se croirait revenu au début des années 70 dans les studios Hi de Willie Mitchell. On retrouve ici la plupart des musiciens de la célèbre Hi Rhythm Section : l’organiste Charles Hodges (ex-Al GREEN, O.V. WRIGHT, Syl Johnson), son frangin Leroy à la basse, le batteur Howard Grimes (ex-Jimmy McCracklin, Otis Clay, Denise LaSalle). Une mini section cuivre est également conviée à la fête avec deux légendes des Memphis Horn : Andrew Love (ex-Otis REDDING, Wilson PICKETT, Carla THOMAS, BB KING) et Wayne Jackson (ex-Aretha FRANKLIN, Eddie FLOYD, SAM & DAVE, Percy Sledge). Tout ce petit monde représente bel et bien la crème des sidemen de Memphis.

Ann PEEBLES reprend ici divers inusités. En ouverture, elle redonne vie à "Bouncin’ Back", une compo de Dennis Walker chantée par Robert CRAY. Si l’original voyait des arrangements presque similaires avec la présence de la même section de cuivre, là c’est la voix et les nappages d’orgue qui font toute la différence. Autre titre passé inaperçu, "Read Me My Rights"⃰ de Delbert McClinton nous conte l’histoire d’un amour contrarié, l’un des protagonistes croupissant dans une cellule. Une version remplie d’émotion qui nous paraît supérieure à celle de Dorothy Moore. De l’amour, il en est encore question avec "Full Time Lover". Gravé à l’origine par le texan Little Frankie Lee dans une version hyper cuivrée, le titre tombe dans la besace des FABULOUS THUNDIRBIRDS avant de tomber dans l’oubli. Ann PEEBLES revisite le thème, nous réexpédiant au cœur des années 70 dans les studios de Willie Mitchell. Little Jimmy King, invité pour l’occasion, nous délivre une flamboyante partie de guitare. Tout semble huilé à la perfection sans le moindre grain de sable, l’orchestration les arrangements et la voix en symbiose. La chanteuse délivre une excellente reprise de "Fear No Evil", une rareté du guitariste Robert Ward, ancien membre des Falcons et des Ohio Untouchables, enregistrée au début des sixties. Création de Wayne Crook pour l’album, "Nobody But You" ⃰ ⃰ est bourré d’effets flirtant entre Disco et une Soul eighties bien ampoulée, des artifices bien inutiles. En fait, parmi ces divers emprunts, un seul se démarque par sa notoriété, le "Miss You" des STONES. Hormis Star On 45, groupe allemand préfabriqué surfant sur les tubes, Ann est la première à reprendre le hit de Jagger et de ses potes. L’harmonica de Sugar Ray Norcia apporte un plus tandis que Thomas Bingham évite que sa guitare ne prenne une direction trop exotique. L’une des meilleures reprises du morceau avec celles d’Eta JAMES, Leela James ou des ZYDECO FLAMES. La voix et la fluidité des arrangements bien groovy sont encore une fois au top. Rien à voir avec les interprétations de Carla BRUNI ou d’Imaani, auteures de deux massacres ne méritant aucune réduction de peine.

Ann PEEBLES a toujours été adroite avec sa plume. Elle nous livre ici quatre nouveaux titres composés avec Don Bryant et Thomas Bingham : "St. Louis Woman (With A Memphis Melody" se déguste comme un excellent Memphis Blues semi autobiographique. Après vingt secondes de spoken song, "Ain't No Business Like Your Business" s’oriente vers un régal de Memphis Soul avec une basse plus prononcée et un chant plus vindicatif. Beaucoup plus de douceur avec "Just You Just Me"⸋, une ballade romantique sous fond d’orgue, tandis que "He’s My Superman" se dévoile comme un mid-tempo sentimental. Reste à savoir comment Don Bryant se trouve sous sa cape de Super Héros ? Enfin, elle nous glisse l’un de ses plus gros succès avec l’intemporel "I Can’t Stand The Rain" avec de nouveaux arrangements plus ancrés dans l’acoustique. Détail amusant, entre la version de 1974 et celle-ci, on retrouve plusieurs belligérants : les Frères Hodges, Andrew Love, Wayne Jackson et le batteur Howard Grimes. Une version agréable revue et corrigée, bien supérieure, à notre sens, à la reprise Disco d’Eruption. On conseille toutefois les reprises de Missy Andersen ou de l’anglaise Beverley Knight pour ce titre souvent repris mais jamais égalé.

Ce neuvième opus offre encore une fois une formidable plongée au cœur du Memphis Sound La délicatesse des arrangements, une orchestration sans le moindre grain de sable, des inusités judicieux nous ramènent vers la glorieuse époque des productions Hi Records. Ce disque édité par Bullseye, filiale de Rounder Records, s’avère aussi brillant que la robe portée par la chanteuse.


⃰ Titre homonyme à celui de Brantley Gilbert, un countryman qui s’est fait tatouer le second amendement de la Constitution (un fada d’armes à feux).
⃰ ⃰Titre homonyme à ceux de Little Walter, Barry Mann, Dee Clark et James Taylor.
⸋ Titre homonyme à celui de Jesse Greer, figurant au générique de la comédie musicale "Marianne".