Un nouvel album de CAPERCAILLIE en 2023, rien n'a été moins sûr, tant depuis dix ans et la tournée très étendue de leurs trente années de carrière, il semblait difficile de le voir revenir. Malgré l'âge désormais avancé de ses membres, la période Covid meurtrière et d'autres aléas éventuels du même acabit, c'est néanmoins bel et bien ce qui se produit en notre an de grâce 2024. Ceci avec la satisfaction de voir le groupe écossais le plus célèbre au monde réuni au grand complet. Les membres de la première heure, Karen Matheson et Donald Shaw ont formé l'un des couples les plus beaux et durables de la musique écossaise. Ceux arrivés un peu plus tard, à la fin des années 80 : Charlie McKerron et Manus Lunny. Ceux d'une dizaine d'années plus tard : Ewen Vernal, Michael McGoldrick et David Robertson. Enfin, en 2013, en remplacement de Che Beresford, CAPERCAILLIE avait engagé James Mackintosh, qui jouait épisodiquement pour eux depuis vingt ans ; ce nouveau disque est donc la confirmation de sa présence si importante.

ReLoved, en vérité, n'est pas un véritable nouvel album. C'est pour bonne partie une compilation de titres des albums précédents - avec des inédits -, que le groupe se plaît à jouer dans de nouvelles versions, et pas des moindres. Pour célébrer les quarante ans cette fois, il voit les choses en grand et invite le BBC Scottish Symphony Orchestra qui officie un peu comme le neuvième membre, au bas mot prestigieux. Il est dirigé par Greg Lawson, violoniste que Karen Matheson avait d'abord employé dans son premier album solo (The Dreaming Sea, 1996) mais qui a ensuite copieusement diversifié son activité : BELLE & SEBASTIAN, ANASTACIA, MOGWAI, TEXAS, David BYRNE, Jennifer LOPEZ, James GRANT etc. Quoi qu'il en soit, si la présence d'un orchestre auprès de la crème du folk écossais (saupoudré de pop et d'autres influences extérieures) peut faire naître des craintes pour ce qui est de la force du rendu et de son humilité, elles sont vite balayées.

S'il y a une catégorie 'album de l'année' (en termes artistiques dignes, pas comme souvent aux Victoires de la Musique) et qu'elle est collective, ReLoved y mérite tout à fait sa place. Si l'on commence par les inédits, il suffit de remarquer ce "Oran do Loch Lall" qui fait intervenir la signature comme la guitare de Sorren MacLean, membre le plus jeune du groupe. Un pilier central du disque, dépassant les sept minutes avec, sans le côté pop-rock, des airs de "Kashmir" (LED ZEPPELIN) revisité dans le pays au chardon. L'effet de danse orientale sensuelle, le début sombre avec Karen Matheson seule, les cuivres qui remontent et l'instrumental en crescendo final, voilà du grand art ! Plus modeste mais pas moins mémorable, instrumental tendre et aventureux, "Boules et Guirlandes" est un joli clin d'oeil à la Bretagne, car signé Gilles LE BIGOT, ambassadeur de la guitare celtique de l'autre côté de la mer Iroise. Il ne manque d'ailleurs peut-être au final qu'un petit souvenir des années de Donald Shaw et Karen Matheson auprès de Dan AR BRAZ.

Pour le reste, c'est de l'orfèvre. Et pour la première fois depuis 1995 voire 1991, aucun lieu de se plaindre de la durée toujours trop conséquente d'un CD de CAPERCAILLIE ; on atteint pourtant ici l'heure et quart. Il est vrai que la formule est confortable et qu'ils ont choisi le meilleur. Toutefois, bon nombre de titres sont transcendés, notamment grâce à l'orchestre. Le plus ancien, "David Glen's Jig", date de 1987 et l'album Crosswinds, un instrumental typique des premières années joliment revisité. Ensuite, de Sidewaulk (1989), le groupe a choisi "Iain Ghlinn' Cuaich", merveille de ballade transformée en valse que Karen Matheson chante, comme le reste, avec un tremblotement logique mais sans enlever aux lointaines résonances juvéniles. Et ce piano caressant couplé aux cordes, de quoi faire naître des frissons ! Et entre les deux, en 1988, de la B.O The Blood is Strong, il y a "Calum's Road"; splendeur celtique tout à la richesse du groupe avec accointances jazz, basse veloutée de Vernal, fiddle énergique de McKerron, batterie jazzy, accordéon et orchestre.

Sans passer tout en revue de façon détaillée, on remarque non seulement que la période Beautiful Wasteland/Nadurra est absente, mais encore que des disques perfectibles comme Secret People (1994) et Choice Language (2003) se taillent la part du lion, avec deux extraits chacun. Là encore toutefois, rien de rédhibitoire puisque "Tobar Mhoire" du premier, choisi comme single de cette fournée 2024, est fort plaisant (ah, ces tambours celtiques, ces enchevêtrements de cordes, ce bouzouki signature de Manus Lunny !). "Hi Ri'm Bo", absolument magique, est une preuve supplémentaire de la beauté vocale de Matheson et pas si changée à 60 ans passés, toujours aussi bien soutenue par les choeurs de son mari, de Lunny. Toujours à l'honneur du son de l'Ecosse 'heartland'. Et si, au contraire, on peut s'étonner du choix de "Mile Marbhaisg Air a' Ghaol" (de Choice Language) quand presque tous les éléments pop/groove du CAPERCAILLIE ancien sont occultés, cela reste de la belle soul-folk fine et passionnante. Idem de "Port Na Caillich" du même album et sa relecture cordes-country.

L'excellent album To the Moon (1995) révèle lui aussi deux titres : le suave "Nil Si i nGra" (ces cordes montantes, cette guitare wha-wha câline par Lunny, un délice !) et le dramatique "God's Alibi" inspiré à l'époque par la guerre en Bosnie. Rien qu'avec l'intro orchestrale longue, jusqu'à l'entrée du piano de Shaw, avec aussi en tête les derniers débordements conflictuels en Europe de l'Est ou au Moyen-Orient, elle prend une nouvel ampleur. À côté de cela, on trouve le medley instrumental "Famous Last Words" avec toute la quintessence de ce rapprochement du groupe avec l'orchestre, aussi bien dans les intonations jazzy rythmiques (Vernal de folie) au départ que dans le côté plus resplendissant ensuite (McGoldrick génial), aussi bien dans les cordes que dans les cuivres.

Quant aux moments crépusculaires, les plus folk, ils sont à tomber à la renverse. Ecrit par Donald Shaw, "At the Heart of It All" est bien la perle d'un album qui n'a hélas pas fait date depuis plus de dix ans. Et pourtant, tellement celtique comme l'air mélancolique de "Servant to the Slave", signée Manus Lunny, chanson finale déjà sur ce qui demeure le best album de CAPERCAILLIE : Delirium, 1991. Moins de synthétiseurs, mais un orchestre tout trouvé (marimba de Robertson compris) pour cette merveille absolue, d'abord chantée par Matheson seule puis rejointe par Lunny. Et ces 'i rio' centraux, ces vocalises de fin, ah ! La tonalité à un peu baissé, non point la grandeur d'âme. Le dernier accord est d'ailleurs le même point d'orgue que pour un hymne. Idéal pour finir ce grand moment de retrouvailles, inestimable !