Jacques HIGELIN au début des seventies est un auteur-compositeur-interprète assez original, qui évolue dans une mouvance gaucho-bohème avec Areski, Brigitte Fontaine, sous la complicité bienveillante de Pierre Barouh qui vient de créer le label Saravah avec les royalties de la musique du film Un homme et une Femme de Lelouch qu’il a composée. Comme quoi l’argent gagné avec un navet peut servir une bonne cause.

Notre homme bénéficie d’un succès très confidentiel, mais en 1973 il fait la première partie d’un show de Sly & The Family Stone à l’Olympia, où il se fait huer par le public avec sa voix et son accordéon. Même si l’erreur de programmation est évidente, ce flop fait réfléchir notre Jacquot, qui décide de changer de direction musicale et de se tourner vers le rock, attention le vrai, celui des Stooges ou des NewYork Dolls qui cartonnent dans les milieux branchés de la nuit parisienne.
Il embauche Simon Boissezon aux guitares (qui a joué avec sa copine Valérie Lagrange) et Charles Bennaroch aux percussions (qui a joué avec Zoo).

Le disque reprend les initiales des trois musiciens et sort en fin d’année 1974 même si son titre est BBH 75.
Il fait sensation à l’époque, avec sa pochette mettant en scène un Higelin blafard sous des néons qui accentuent volontairement le côté glauque de l’ensemble.
Autant la sortie de l’album fin 1974 fut une décharge électrique qui inspirera fortement les petits gars de Téléphone qui traînaient dans les studios Pathé, autant une écoute aujourd'hui s’avère difficile.
On démarre par ces vers immortels, comme une chanson gentillette habituelle, "Paris-New York, New York-Paris" : "Comme un pauvre con tout seul à Orly/J'attends ma petite Suzy/Qu'arrive par le Boeing de quinze heures trente-trois/Tout droit/Du Minnesota… Mais la môme Suzie est en retard et le Hig est agacé. Tour Montparnasse à Manhattan/Cinquième avenue, six heures du soir/Vise-moi ce coooooooonnaaaaaaaaaaaaard".

Et là le groupe envoie la sauce, pose ta guitare Pete Seeger et laisse entrer le métal en fusion, et ils font cela à trois ?
"T'as pas cent balles pour un junkie/Héroïne pressée, cocaïne baby/Papiers New-York vitrines/You see what I mean/Struggle for life et business show, salaud".
Signature électrique flamboyante d’un morceau devenu un classique et toujours repris en live presque quarante ans plus tard.
Courte pause avec "Cigarette" qui ressemble à de "l’ancien" Higelin, les brutes recommencent avec "Mona Lisa Klaxon" aux paroles sérieusement déjantées avec son trombone pendu au téléphone. Higelin fait le choix d’écrire textes et musiques avec ses musiciens, pour se démarquer des "rockeurs français" Eddy et Johnny qui souvent adaptent des chansons américaines et enregistrent avec des requins de studio. "Chaud, Chaud Bizness-Show" supporte mal le poids des années, mais c’est toujours aussi heavy.
"Une Mouche Sur Ma Bouche" dénote un peu dans de déluge électrique alors que "Est-Ce Que Ma Guitare Est Un Fusil ?", "Oesophage Boogie, Cardiac' Blues" et surtout "Boxon" qui termine le brûlot font entrer le groupe au paradis des rockers.

Higelin continuera sur sa lancée avec Irradié, et l’arrivée de Louis Bertignac, et surtout il fera de nombreux concerts toujours délirants, toujours très longs, et peu à peu il introduira des touches plus poétiques, ralentissant le tempo pour faire du Higelin mélange de Trenet, d’accordéon, de guitares saturées, de poésie.
Mais BBH 75 est un disque fondateur d’un rock à la française et chanté en français.