Master Of Reality, ou comment se faire écraser par un char d'assaut après avoir déjà été brutalement renversé par deux bombardiers nucléaires en plein décollage (les deux premiers albums de BLACK SABBATH). Ce troisième album des Britanniques clôt avec maestria la "trilogie" des débuts du groupe de Tony Iommi : le premier album annonçait une musique toute en lourdeur et en noirceur, le second s'envolait vers des cieux cosmiques chargés d'orages électromagnétiques, le troisième ne pouvait être que l'aboutissement de tout cela. Et il l'est. Master Of Reality confirme bel et bien la réalité des faits en 1971 : BLACK SABBATH vient d'inventer la musique heavy metal, cette musique révolutionnaire destinée à changer la face du rock'n'roll ...

On a souvent tergiversé pour savoir auquel des trois premiers albums de BLACK SABBATH on pouvait attribuer le titre de "premier album de heavy metal de l'histoire". En réalité, ces trois disques font partie d'un ensemble et chacun d'entre eux a contribué l'un après l'autre à forger ce style musical. Master Of Reality fait ici aboutir les essais lourds et doom des deux premiers albums en durcissant considérablement les choses. Le son déjà, est différent. Tony Iommi et Geezer Butler ont pris volontairement le parti de sous-accorder leurs instruments, ce qui crée une atmosphère résolument plus sombre. Ensuite, inutile de se voiler la face, les effets de certains produits illicites sont ici clairement évidents : l'intro de la chanson "Sweet Leaf" en est un exemple célèbre.

Le démiurge Tony Iommi continue ici de développer son univers sombre et mélancolique avec des allusions à la musique médiévale ("Embryo" et "Orchid", pièces instrumentales élégantes et raffinées) et un morceau calme à la beauté rare, "Solitude", chef d'œuvre de douceur dans la continuité directe de "Planet Caravan". La voix d'Ozzy y est d'ailleurs sublime et magnifiquement exploitée, preuve que notre crapaud favori sait aussi se faire moins coasseux ... Le reste est composé de morceaux lourds, cosmiques, aux paroles inspirées par l'actualité ("Children Of The Grave", allusion à la Guerre du Vietnam et suite logique de "War Pigs") et par la science-fiction ("Lord Of This World", "Into The Void") en glissant ça et là d'astucieuses références au satanisme...

Au final, un album lourd, très lourd, étouffant, mais incroyablement beau et riche. Un album que j'apprécie particulièrement, "Into The Void" étant d'ailleurs ma chanson préférée de BLACK SABBATH toutes époques confondues (et pourtant l'époque Ozzy n'est pas ma préférée, je préfère largement les époques Dio et Tony Martin). Du grand art. Encore un pas de plus vers le durcissement du rock, et un jalon important de son histoire.

BLACK SABBATH confirme ici réellement qu'il est le "Lord Of This World"...