Avec Vs, PEARL JAM avait commencé à s’affranchir du style qui avait fait sa renommée à ses débuts.
Vitalogy ne fait que confirmer cette tendance. Le groupe s’y montre bien plus personnel. Le côté 'accessible' des deux premiers albums a ici été considérablement gommé, comme en témoigne la quasi absence de singles potentiels. Et le groupe évolue désormais dans un style de plus en plus intimiste et posé, les chansons entraînantes s’effaçant peu à peu au profit de titres plus sombres et plus torturés.
Il faut dire que PEARL JAM traverse une période difficile. La tournée Vs a exacerbé les tensions entre les membres du groupe et la communication entre eux est devenue quasi inexistante. Stone Gossard, qui faisait jusqu’alors office de médiateur, se désengage de ce rôle, et devant la place grandissante prise par Eddie Vedder, il envisage même de démissionner. Selon lui, Vitalogy est le premier album où le chanteur s’impose en tant que décisionnaire final. Si ces tensions ne suffisaient pas, le guitariste Mike McCready se fait hospitaliser durant les cessions d’enregistrement pour consommation excessive de drogues et d’alcool et le batteur Dave Abbruzzese est viré à l’issue de l’enregistrement du disque auquel il ne participe que partiellement.

Cette situation chaotique déteint sur l’ambiance de l’album et sur le degré de maturité des titres (80% d’entre eux auraient été écrits vingt minutes avant l’enregistrement). Ainsi, un titre comme "Bugs" a tout de l'improvisation moyennement maîtrisée. En ce sens, le groupe se rapproche des digressions musicales chères à Neil YOUNG sur scène. Malheureusement, il ne possède pas encore le savoir-faire du Canadien dans ce domaine.
Mais, au-delà de ces quelques maladresses (parmi lesquelles on pourrait également citer le court "Pry To" et "Stupid Mop"), PEARL JAM se fend tout de même de très bons titres à l’image de "Not For You", de l’excellente ballade musclée "Better Man", d’un "Tremor Christ" à la beauté nonchalante, ou bien de "Corduroy". Malgré cette direction musicale qui fait la part belle à des compositions plus posées, le groupe montre qu’il est encore capable d'écrire des brûlots qui lorgnent vers le Punk Rock, à l’image des deux morceaux d’ouverture, "Last Exit" et le très bon "Spin The Black Circle". Mais c’est lorsqu’il verse dans l’émotion que PEARL JAM arrive à tutoyer de nouveau la grâce, comme cela peut être le cas avec le magnifique "Immortality".
En dehors de la qualité très variable des titres présents sur cet album, c’est la qualité des textes de Vedder qui pourra interpeller. A l’exception notable de "Corduroy", il semble assez difficile de faire passer pour de la poésie et de l’art la pauvreté de ses textes. Le frugal "Spin The Black Circle", censé être une ode à la gloire des disques vinyles, est à cet effet assez parlant. A tel point que je ne résiste pas à l'envie de vous en traduire un extrait : Tourne, tourne, tourne le cercle noir, Tourne, tourne, Tourne le noir, tourne le noir, Tourne, tourne, Tourne le cercle noir, Tourne, tourne, whoa.
Puissant, non ?
Encore plus que Vs, Vitalogy est un disque charnière pour le groupe. Au niveau commercial, c’est à partir de celui-ci que bon nombre de fans de la première heure se sont désintéressés de lui (même si une fan-base plus homogène a commencé à le suivre). Au niveau artistique, il marque la prise de pouvoir d’Eddie Vedder et une affirmation de l’identité musicale du groupe qui s’oriente vers des univers plus intimistes et plus sombre.

Bien qu'il recèle quelques très belle perles, il n’est pas certain que cet album soit celui par lequel il soit recommandé de découvrir le groupe.