THE CHIEFTAINS, au moment de la confection de leur neuvième album, doivent compenser le départ de deux membres fondateurs, Seán Potts et Michael Tubridy, avec l'arrivée d'un seul, Matt Molloy, ancien membre du BOTHY BAND et de PLANXTY.

Autre vieil ami de Paddy Moloney, il obtient la double casquette de whistler et de flûtiste, et avec le départ de Tubridy, la concertina disparaît complètement du champ sonore des CHIEFTAINS. En revanche, le groupe ne perd aucunement de sa force dans l'arrangement des whistles, Molloy est de plus complètement intégré au groupe de façon immédiate.

Sur Boil the Breakfast Early, chaque musicien, nouveau compris, a droit au moins à un arrangement de morceau traditionnel, et cela nous donne un album multi-empreinte d'une facture comparable à celle du septième album. Sauf que celui-ci a un attrait supplémentaire : sa pochette, une très belle photo marquée par le lieu et le climat, dans des tons bien différents de la précédente, très inspirante !

Et l'inspiration ne manque pas. Dès le départ du morceau-titre, au bodhrán et aux bones avec les autres instruments, les idées se succèdent avec force et magie, des soli de Seán Keane et Paddy Moloney jusqu'aux choeurs "lilt" (version folk irlandaise du scat) de Kevin Conneff.

Il y a un moment particulier, un procédé qu'on ne retrouve justement pas assez chez les CHIEFTAINS mais qui fait mouche à chaque fois : les notes tenues par certains instruments (violon ou cornemuse) pendant qu'un autre déploie son discours par-dessus. Il est aussi employé au début de "Gol Na Mban San Ár", sélection de Seán Keane proprement excellente, le violoniste usant de son goût et de sa science des arrangements contemporains et pleins de fougue dans la seconde partie. "Up Against the Buachalawns" est un bel exemple de country irlandaise moderne.

D'un autre côté, dans ce disque, le groupe fait la part belle aux thèmes du XVIIème et du XVIIIème siècle. Derek Bell en particulier, tient toujours à rendre hommage à Turlough O'Carolan, son maître à penser dont on reconnaît aisément l'univers à la simple écoute, sur "Mrs. Judge", une de ces galanteries musicales dont le harpiste aveugle avait le secret. L'ensemble des vents et des cordes y joue des trilles (les effets nerveux) splendides, envoûtantes. L'autre moment dédié à O'Carolan, plus loin dans le disque, est épique ; les CHIEFTAINS l'ont joué au Phoenix Park de Dublin pour la venue du Pape en Irlande, devant leur plus grande audience (un million de personnes).

On peut appliquer ces épithètes, "splendide", "épique", à certaines sections de "Bealach An Doirín" ("The Path Through the Wood"), l'arrangement qui prouve l'importance de Matt Molloy et qui apporte un bon nouveau souffle, avec même un peu de violoncelle, chocolat sur le gâteau au chocolat. Et parmi les plus belles sucreries des CHIEFTAINS, un air de Kevin Conneff chanté seul a-cappella ("When a Man's in Love") et une grande réussite de Martin Fay ("Ag Taisteal Na Blárnan", "Travelling Through Blarney"), duo violon-harpe.

Il est toujours difficile de départager les premiers albums des CHIEFTAINS tant la qualité demeure, équitable à tout point de vue. Néanmoins, on peut dire que certains ont quelque chose en plus, et celui-ci en fait partie !