Sept ans après le dernier album en date, on peut dire que la carrière des CHIEFTAINS a commencé de s'étioler. Néanmoins, quand San Patricio paraît en 2010, on sent vraiment combien leurs deux meilleurs efforts en plus de trente ans, à savoir The Bells of Dublin (1991) et Water From the Well (2000) apparaissent comme deux parenthèses au milieu d'un trop-plein de collaborations. Certes, les dernières en date, à Nashville (2002 et 2003) étaient pour le moins brillantes, alors qu'en est-il de ce nouveau rapprochement (après Santiago, 1996) avec la musique hispanique ?

L'album à la pochette quelque peu flashy décrit plus ou moins le concept voulu, à savoir des thèmes musicaux évoquant la guerre du Mexique contre les Etats-Unis au milieu du XIXème siècle et à laquelle des soldats irlandais ont pris part, du côté des peuples du sud du Rio Grande. Nul étonnement donc à entendre beaucoup d'airs issus de cette période, et les CHIEFTAINS travaillent en compagnie du maître musical touche-à-tout Ry COODER, même si contrairement à nombre de leurs albums-collaborations simples passés, celui-ci est surtout présent en tant que co-producteur.

San Patricio, d'emblée, semble tout de même souffrir un peu du besoin de remplissage, affichant dix-neuf titres pour 1h10 de musique. Il est vrai qu'un tel album garde ses hauts comme ses bas, et que les CHIEFTAINS, en voulant s'ouvrir en grand, ont fini par s'enfermer dans une autre forme de systématisme. Paradoxalement d'ailleurs, sur cet album et au milieu des invités, ils pâtissent un peu au global et - cela devait finir par arriver -, on a l'impression parfois d'entendre un album où en tant qu'artistes principaux, ils finissent eux-mêmes par être invités, plus qu'autre chose.

COODER apparaît muni de sa belle guitare à cordes nylon contemplatives sur "The Sands of Mexico", encadrant une ballade country latina par ces intro et coda de toute beauté. Également, c'est lui qui conduit l'intro instrumentale de "Canción Mixteca", plus belle que la chanson qui suit, plus orchestrée par ailleurs alors qu'avant cela, accordéon et harpe se suffisent en soutien. On parle de guitare, mais de ce côté de la planète, on utilisait encore beaucoup sa cousine vihuela et nombre de morceaux en font bon étalage, comme "Danza de Concheros", "La Iguana" superbement chantée par Lila DOWNS avec sa voix grave. Un de ces fiestas musicales à la complexité rythmique notable, et les CHIEFTAINS qui ne font certes point simplement office de présence.

DOWNS revient pour "El Relampago", titre plus anecdotique. Autre chanteuse-star de la musique mexicaine, l'ancêtre Chavela VARGAS, dont la voix grave nous offre "Luz de Luna" avec le sentimentalisme qui s'impose, et du violoncelle en accompagnement. Et bien sûr, la plupart du temps, ce sont des groupes mariachi et autres choristes masculins aux accents typiques du pays au sombrero qui prennent le relais, de "El Caballo", chant guerrier contre les U.S.A. à "Persecución de (Pancho) Villa", plein de violons et de cuivres. Et nos Irlandais musiciens dans tout cela ? Il y a heureusement "La Golondrina", seule occasion d'entendre Kevin Conneff et son lilt sur une danse instrumentale galante au possible, et les interventions de Paddy Moloney à la cornemuse de-ci de-là ("San Campio", "Ojitos Negros").

Les rencontres donnent lieu à de très belles choses comme la présence du groupe LOS CENZONTLES avec duo vocal féminin, sur l'ensoleillé "El Chivo", entremêlé de jig gaélique, ainsi que sur la ballade au clair de lune "Ojitos Negros". Le collectif LA NEGRA GARCIANA offre une superbe sérénade avec "El Pájaro Cu". Mais le plus beau reste à venir, en termes de grands noms également, quand on sait que Linda RONSTADT porte à merveille "A la Orilla de un Palmar", balancement joli et sensuel dans la tristesse, avec flûte de Matt Molloy fort adaptée ainsi que la harpe de Triona Marshall. Dernier enregistrement connu, pour l'époque, de RONSTADT, l'idole folk qui sera toujours jeune.

Le coeur qualitatif et intense de l'album est dignement représenté par "March to Battle (Across the Rio Grande)", porté par des tambours et cuivres fantastiques, tandis qu'un certain Liam Neeson, l'acteur oui, vient apporter une belle narration roulante et posée. Juste après, autre merveille mais différente, "Lullaby for the Dead", ballade suivant l'instant guerrier et dans le silence de mort, où s'élèvent harpe et cornemuse, violon de Seán Keane mais aussi et surtout la voix inimitable de Moya BRENNAN, chanteuse de CLANNAD et sans doute la plus féminine et prestigieuse d'Irlande. Classe incroyable ! À côté, la grande "Finale" aux côtés de Carlos NUÑEZ, son frère Xurxo, Pancho Alvarez etc. se laisse écouter mais sans plus, eu égard à l'album Santiago (1996) et sans doute avec une couleur galicienne et lorgnant vers l'Écosse qui apparaît ici hors-sujet.

Un disque bancal, manquant de moments d'orfèvre, mais plaisant à l'image de la musique traditionnelle mexicaine, ses bambas, ses boleros et autres rancheras. Pas franchement le meilleur des CHIEFTAINS, mais d'une certaine manière, toujours digne de leur générosité.