À l'aube du nouveau millénaire, toutes les étoiles étaient parfaitement alignées pour cet album. Water From the Well est l'ultime effort réunissant le line-up classique des CHIEFTAINS, juste avant le départ anticipé à la retraite de Martin Fay en 2001 puis le décès de Derek Bell lors d'un arrêt cardiaque en 2002. Chaque album depuis plus de dix ans était pensé comme un événement, avec son lot de rencontres, artistes country, galiciens etc, locaux et internationaux. Les Irlandais étaient eux-mêmes devenus citoyens du monde, avec un talent largement récompensé sur les divers continents.

Enregistré dans toute l'île, même la partie britannique (l'Irlande du Nord), Water From the Well a pour nouveauté et franchement bonne idée de recentrer la bande de Paddy Moloney sur son pays d'origine. C'est l'album irish par excellence, comme on n'en avait pas eu depuis The Bells of Dublin (1991), au moins, et quel album ! Tout simplement, en plus d'être la quintessence musicale, un pur chef d'oeuvre que tout amateur se doit d'avoir dans sa discographie. Il peut également constituer une belle porte d'entrée dans l'univers des CHIEFTAINS, alors que paradoxalement pour certains membres, il marque la sortie. Bell sera encore présent pour le double des sessions à Nashville et Fay jouera régulièrement avec eux sur les scènes irlandaises, mais plus rien, dès lors, ne sera pareil, y compris au niveau de l'activité discographique.

L'événement est d'autant mieux marqué que les 80 minutes règlementaires du disque sont largement remplies. Et de surcroît, mis à part un ou deux sets de danses instrumentales qui allongent le tout sans aller plus loin que le niveau honorable – retenons d'ailleurs de très bonnes prestation au pub du flûtiste Matt Molloy à Westport, sur la côte nord-ouest de l'Eire -, l'inspiration est totalement au beau fixe. Et les invités, pour ne pas faire exception à la règle depuis quelques années, sont au rendez-vous : Barney McKenna, banjoïste historique s'échappe momentanément de ses DUBLINERS pour jouer sur "Within a Mile of Dublin", tandis que le violoniste canadien Ashley MacISAAC est bien mis en valeur sur le "Dingle Set" et ALTAN, groupe de plus en plus célèbre, participe à une sélection d'airs du Donegal.

Certes, il y a aussi des moments d'orfèvre par Moloney & co seuls, à l'ancienne. Il n'est pas rare de se sentir faire un saut dans le temps et revenir aux enregistrements feutrés des années 60-70. "Lots of Drops of Brandy", alternant diverses mélodies, nous révèle des CHIEFTAINS plus en forme que jamais, heureux de s'enraciner à nouveau. Un petit bijou parmi d'autres, comme le trois temps séducteur du "Dusty Miller" ou encore les merveilleuses complaintes "The May Morning Dew" et "The Lovely Sweet Banks of the Moy" chantées par Kevin Conneff, éternel adolescent, a-cappella ou joliment soutenu par ses camarades. "An Poc ar Buile (The Mad Puck Goat)", en termes de chansons et avec la participation de stars locales comme Seamus BEGLEY, est d'une force incroyable, en choeur à la fois nostalgique et festif, majestueux, enivrant !

De même, dans une catégorie hymnes qui font toute la beauté de l'album, le final instrumental "An Gaoth Aneas (The Wind of the South)" enregistré live démontre combien, avec les années, les CHIEFTAINS ont su affiner leurs arrangements, leur donner plus d'amplitude. Entre arpèges d'orfèvre à la harpe, clavecin ou tiompan cristallin, Derek Bell est celui qui apporte toujours le mieux à de grands airs gaéliques comme "Bean an Fhir Rua (The Red Haired Man's Wife)", "Planxty George Brabazon", "An Buinnean Bui (The Yellow Bittern)" et "Casadh an Tsugain (Twisting of the Rope)", tous d'une beauté à couper le souffle et très également répartis sur cette galette. Pour tout cela, Water From the Well vaut plus que le détour : c'est un disque à la hauteur du talent des CHIEFTAINS, du rayonnement de la culture irlandaise.