Ce disque sort en 1961, mais il y a déjà pas mal de friture sur la ligne. En fait, si Etta JAMES peut se targuer d’avoir gravé dix singles pour Modern suivis de cinq autres pour Kent, la chanteuse vient de quitter les frères Bihari. Lassée par le manque de reconnaissance, la chanteuse a signé chez Chess. Le label de Chicago n’attend pas et après avoir pressé deux singles sur l’étiquette Chess propose à sa nouvelle chanteuse un contrat alléchant sur sa filiale Argo.

Pour Modern, l’affaire Etta JAMES c’est donc de l’histoire ancienne. Certaines sous marques (Meteor, Flair et RPM ) sont en faillite depuis des lustres. Comble de l’ironie, les deux premiers disques de la chanteuse publiés par Chess connaissent un bon petit succès auprès de la clientèle noire. Modern décide de sortir dix faces issues de singles Modern via Crown, une filiale au petit budget. Pour Crown et Modern, il s’agit là d’une opération visant à renflouer les caisses à moindre frais, Etta est partie et ne reviendra pas.

Historiquement, ce disque bien que proposant des titres préalablement mis en boîte par Modern demeure le troisième album de la chanteuse.
Quoi de mieux que « The Wallflower », rebaptisé ici « Dance With Me Henry », pour lancer le disque sur de bons rails avec solo de sax et un dialogue entre la chanteuse et Ricard Berry pour un dynamique R&B patiné par Johnny Otis. S’il fallait une preuve que les patrons de l’écurie Modern n’ont jamais vraiment capté le potentiel d’Etta JAMES, il n’y a qu’à écouter avec quelle soupe le disque enchaîne. Crown Records incorpore « Do Something Crazy », au lieu de récidiver avec « Good Rockin’ Daddy » placé au milieu du disque.
S’ensuit le puissant « W.O.M.A.N. », un brin pompé sur le « I’m A Man » de Bo DIDDLEY, lui-même inspirateur du « Mannish Boy » de Muddy Waters. Sous l’intitulé « My One And Only » se cache en réalité « Number One », peut-être rebaptisé pour tromper le chaland. Crown poursuit dans ce qui pourrait presque sonner comme une escroquerie en nous glissant le langoureux « I Hope You’re Satisfied » du duo Betty & Dupree (en réalité Etta James et Harvey Fuqua). On peut penser qu’on a là une belle maladresse de la part du label, surtout quand on sait que Fuqua alors petit ami déclaré de la chanteuse allait quitter sa bienaimée pour épouser l’une des frangines de Berry Gordy. Les paroles du titre peuvent du coup paraître amusantes.
« Hey Henry » (aucun rapport avec Roll With Me Henry ») se révèle un honnête R&B plein d’entrain. Mais s’il fallait décerner une mention, « Strange Things » (plus exactement Strange Things Happening »), titre resté au fond et inédit lors de la sortie du disque, remporterait certainement une grosse part des suffrages avec un vrai titre de Rock'n'Roll. « That’s All », le parfait prototype du R&B du milieu fifties avec solos de sax et de guitare met en exergue la puissance vocale de la chanteuse. A contrario, « How Big A Fool » témoigne d’un changement de mode ; si Etta JAMES demeure capable d’embobiner le premier baratineur venu, les violons témoignent eux qu’on vient de plonger dans une nouvelle décennie.

Si ce disque permettait à l’époque de découvrir les premiers pas d’une chanteuse expressive, dépositaire d’une longue carrière faite de hauts et de bas, on peut s’étonner que Crown n’ait pas jugé bon à l’époque de nous glisser trois ou quatre chansons restées sur une étagère à prendre la poussière. On pourra aussi se demander pourquoi le dévastateur « Tough Lover » ne figure pas en bonne place dans ce disque.

Au fil des ans, ce disque mono fait l’objet de nombreuses rééditions, avec une multitude de pochettes différentes et de nouveaux titres sortis d’une pochette surprise. L’album paraît sous divers noms : « Etta James Sings » (United), « The Soul Of Etta James » (Ember », « Good Rocking’ Mama » (ACE). En 2005, le label anglais, nouveau propriétaire des masters, publiait un double CD de 42 pistes avec de nombreux inédits apportant un nouvel aperçu de cette chanteuse. La semaine dernière en Angleterre, un exemplaire neuf de la version mono se négociait aux environs des 240 €. Avec l’arrivée du Brexit, on peut penser que certains collectionneurs et spéculateurs vont pouvoir se frotter les mains, mais c’est là un autre débat.

Note réelle 2,5.