À l'issue de l'année 1964, grâce à un quatrième album fort de sa qualité et de son succès, grâce aussi à l'accueil du public fait durant l'automne à la salle Bobino où elle fait quasiment oublier Georges BRASSENS, BARBARA est entrée dans la cour des grands. Le deuxième album paru chez Philips s'appelle N°2 comme pour mieux faire oublier ce qui a précédé la réalisation de Barbara Chante Barbara.

On s'aperçoit aussi qu'il pâtit un peu d'être à la suite à ce dernier. "Le mal de vivre" débute le tout sur un ton plus grisant encore que "Mourir pour mourir", avec les éléments musicaux de "Nantes" mais sur lesquels on a rajouté l'accordéon de Joss Baselli et le saxophone de Michel Portal.

Convaincue par la prestation de ce dernier sur "Pierre" (album précédent), BARBARA le rappelle pour d'autres morceaux, "Toi l'homme" et "La solitude", et à chaque fois, cela constitue un bel élément et chaleureux qui complète magnifiquement la voix de la chanteuse, même si les titres ne sont pas mémorables. Retenons quand même "La solitude" pour cette envie de la narratrice de chasser la mélancolie personnifiée sur un trois temps valsé.

BARBARA varie ensuite les plaisirs et d'abord pour elle-même, en se mettant dans la peau d'une femme de président ("Si la photo est bonne", avec même un ton sanglant), en "troquant ses chaussettes blanches contre des bas noirs", ou en fixant sa passion amoureuse en plein automne, pendant les vendanges ("Septembre (quel joli temps)"). Ces chansons s'écoutent bien comme elles sont écrites, mais souffrent un peu de la comparaison avec celles qui apparaissaient mineures sur l'album précédent ; c'est dire le niveau de celui-ci ! Mineure, "Toi" l'est par sa durée, mais en termes de légèreté amoureuse, elle se révèle meilleure que d'autres de ce N°2 et remplie de façon idéale.

"Les mignons", très populaire et railleur sur les gentils messieurs qui regrettent ensuite vite leurs élans et attentions, vaut surtout pour le texte et l'interprétation de BARBARA. Jusque là rien de transcendant, et la meilleure des chansons méconnues sur ce disque demeure "Tous les passants", même musicalement cette fois car pourvue d'une ambiance et d'une orchestration fort réussies, avec ajout d'accordéon et de cordes venues accompagner le velouté des roulements d'arpèges au piano.

Un album qui serait tout juste moyen donc s'il n'y avait pas les deux classiques. "Göttingen", de façon solennelle, sera employée pour symboliser à plusieurs reprises l'amitié franco-allemande et l'envie de réparer le passé, mais d'une autre façon et croustillante celle-là, il faut avouer que BARBARA n'était pas du tout dans cet état d'esprit avant de l'écrire, bien au contraire !

Rien de politique, seulement un caprice d'artiste : pour ses récitals à Göttingen (province de Basse-Saxe, centre-nord de l'Allemagne) où elle ne souhaitait guère se rendre à la base, la chanteuse avait mis pour condition de jouer sur un piano quart de queue. Lorsqu'elle arrive, le piano est droit ; colère, refus de jouer, catastrophe pour les organisateurs ! Une voisine âgée prête généreusement son quart de queue, qu'il faut acheminer dans la rue et sur scène alors que le public teuton est déjà là depuis une heure et demie... C'est justement parce qu'il s'est montré patient et, sans rancune, a applaudi BARBARA très chaleureusement, que la chanson a vu le jour et s'est vue interprétée au cours des concerts ultérieurs.

"Ce n'est pas la Seine, ni le bois de Vincennes, mais c'est bien joli quand même, à Göttingen..." Les méandres d'accordéon aident la chanson à être plus vivante et on comprend qu'elle plaise, pas sa simplicité. D'un avis personnel, ce n'est pas celle que je retiens le plus, et j'avoue que j'aurais même eu du mal à la remarquer en dehors de son succès voire ses reprises (Anne VANDERLOVE sur son album La Renverse, 2007, pour ne citer qu'une autre artiste comparable à BARBARA, en style et en qualité).

L'autre grand succès de cette année 1965, c'est naturellement "Une petite cantate", avec son air très enfantin, dédiée à Liliane BENELLI. Celle-ci, au temps où BARBARA se produisait au cabaret de l'Ecluse, était son amie et elles ont écrit une poignée de chansons ensemble. Sur le point de se marier avec le chanteur Serge LAMA, le couple subit un très grave accident de la route avec leur chauffeur et régisseur Jean-Claude Ghrénassia (frère d'Enrico MACIAS). Seul Serge LAMA s'en tire, en gardant des séquelles à vie ; il reprendra la chanson très émue et passionnée de BARBARA à son compte, bien plus tard.

Qui, de toute manière, a voulu reprendre BARBARA et n'a pas chanté cette chanson ? Un chef d'oeuvre de deux minutes, ajouté sur l'album en toute dernière minute, avec le piano en aiguës comme parfait écho à la voix, des cordes baroques, un triangle comme sur "Nantes"... Arrangements fins mais remarquables, et ce texte ! Écrit "du bout des doigts", doigts de fée aux cheveux courts. Le piano revient ensuite dans les graves, suivant une très belle variation de tons au chant, ce dernier apparaissant pur, triste, simplement beau. Sans oublier le "Si mi la ré si sol do fa", incantation récurrente qui marque à jamais la chanson française. Et à propos d'enfance, ici c'est celle de l'art, car suivant les cours de solfège, on parle là de l'ordre strict des bémols (ou "armure"), inversé par rapport à celui des dièses (fa do sol ré la mi si), qui peuvent apparaître au début d'une portée musicale juste après la clé de sol, donnant certaines tonalités : si bémol majeur, mi bémol majeur, la bémol majeur etc. Avec peu de choses parfois, même dans le deuil, on peut faire du génie.