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VARIÉTÉ FRANÇAISE  |  STUDIO

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- Membre : Roland Romanelli

BARBARA - L'aigle Noir (1970)
Par MARCO STIVELL le 16 Août 2021          Consultée 1523 fois

Deux albums pour BARBARA en cette année 1970, dont l'un a largement supplanté l'autre. En France, ce seul titre L'Aigle Noir, affiché sur une pochette sobre et sans photo apparente, choix très étonnant, représente beaucoup dans le coeur du public, qu'il soit ou non passionné par l'artiste.

Après la fin du spectacle théâtral et musical Madame, un échec cuisant, BARBARA souhaite vite passer à autre chose et le nouvel album est complété au printemps dans le studio Gaîté (14ème arrondissement de Paris, à deux pas de Bobino). Il comprend d'ailleurs deux titres rescapés de la pièce, "Amoureuse" et "Je serai douce" comme pour en garder le meilleur (elles en font toutes deux partie, il est vrai), ou tout simplement ce qui se rapprochait alors déjà le mieux de l'écriture classique de BARBARA, de ses habitudes d'interprète.

Le producteur est Franck Giboni, tout comme pour le Soleil Noir (1968) et l'ingénieur du son Roger Roche. Parmi les musiciens connus du disque qui n'affiche presque aucun credit, on compte le désormais indispensable Roland Romanelli, mais c'est Michel Colombier qui se charge des arrangements en priorité, comme depuis l'année 1967 et "Ma plus belle histoire d'amour", parenthèse Madame mis à part, où là c'était Jean-Claude Vannier, pas d'un niveau moindre donc !

Les deux nouvelles versions s'écartent de la pièce qui, musicalement, avait une teneur contemporaine proche du mouvement psychédélique, d'une certaine manière, en suivant les enrichissements de Vannier. L'emploi du quatuor à cordes illustre à merveille le travail passé de Colombier, tel que BARBARA l'affectionne tant. Et toujours ces piano-voix magiques, où elle use tour à tour de sensualité pure ou de verbiage, d'une chanson à l'autre ! Voilà une belle occasion de les redécouvrir par le biais d'un album devenu grand classique.

L'album s'ouvre sous les meilleurs auspices par "À peine" au ton mélancolique, fragrance romantique de deux amoureux qui se réveillent ensemble, par une BARBARA très sensible et comme elle sait bien y faire. "Je suis la vague", chante-t-elle, et les cordes derrière forment une houle légère. À l'opposé de ce titre, on trouve la tempétueuse "Colère" aux percussions latines et au piano menaçant : comme un besoin pour l'interprète d'opposer ses sentiments en chanson, user d'extrêmes, comme elle ne l'a jamais fait avant. Deux ans plus tard, une version plus pop-rock verra le jour.

C'est un disque de contrastes en effet et pas toujours pour le meilleur, dans sa dernière partie surtout : il a bien failli être tout juste bon dans sa globalité. D'un côté, les pas jazzy frivoles de "Au revoir" (séparation de deux amoureux sur un quai de gare) et de "Hop là", avec ses cuivres festifs et l'accordéon de Romanelli, aguichante et titillant la religion catholique, où l'on peut déplorer l'arrangement de choeurs plutôt 'yéyé'.

De l'autre, des merveilles contemplatives comme "Drouot", morceau à l'ambiance pluvieuse où BARBARA chante la nostalgie d'une femme qui se voit dépassée par les événements. Le saxophone discret de Michel Portal, le même que "Pierre" etc, apporte un rai de lumière musical qui n'empêche pas une retombée finale des plus sombres. Il y a aussi "Quand ceux qui vont", son piano ample, son chant qui tire vers le lyrique, sa musique réflexive à séquences superbement développées jusqu'au point d'orgue des contrebasses à la fin (ces notes isolées si fortes !). BARBARA y mentionne la guerre pour la première fois depuis l'album Dis, Quand Reviendras-Tu ?

Et voilà, l'album est terminé.

Non, ça ne va pas : il manque quelque chose ! À l'issue de l'enregistrement (reste peu de temps avant l'envoi au pressage), c'est ce que se dit BARBARA. Déjà, pendant les répétitions de Madame, elle a été interpelée le jour où Roland Romanelli, au piano, a improvisé des descentes mélodiques en mode majeur dans un style schubertien ; cela lui est resté en tête. Elle sort de sa besace un texte non utilisé depuis cinq ou six ans. C'est pour elle un rêve magnifique qu'elle retranscrit en musique, et elle le conte d'abord à Laurence, fille de sa soeur Régine, sa nièce donc, et qui a quatre ans à l'époque. Elle lui dédicace cette chanson qu'elle appelle "L'aigle noir".

Quelque chose de grand arrive. Pour rappel : il s'agit de la chanson de dernière minute, ajoutée dans l'espoir qu'elle apporte une valeur supplémentaire. Et d'une manière totalement novatrice pour BARBARA, davantage coutumière des arrangements jazz sobres, ou alors des piano-voix : les toutes premières notes ivoiriennes amenées avec douceur nous font d'ailleurs croire que rien ne sera différent ici. "Un beau jour, ou peut-être une nuit, près d'un lac je m'étais endormie..." C'est là que tout s'installe, le rêve ou le film est lancé.

Michel Colombier fait intervenir un grand orchestre pop : batterie (à laquelle Roger Roche l'ingé son ajoute l'effet phaser qui crée ce tourbillonnement sonore), claviers et choeurs massifs, basse et guitare électrique rythmique dans le style anglais de cette fin des années 60, déjà bien adopté en France par GAINSBOURG, DUTRONC, POLNAREFF, HALLYDAY... Sur cinq minutes, en suivant les impressions d'une BARBARA en plein envoûtement, à la voix tremblotante d'exaltation et de magnificence, tout se développe, se recompose, en suivant l'exercice de la répétition, de la surprise (sur l'envolée finale, quand la chanteuse "sélectionne" ce qu'elle a déjà chanté).

De l'aigle noir découle une image sombre, belle mais naturellement inquiétante : du point de vue de BARBARA, c'est la pureté même. Beaucoup d'interprétations de ce texte mystérieux ont été faites, dont celle de Patrick BRUEL (qui a repris la chanson) sur la montée du nazisme pendant les années 30 vécue par la Dame en noir, née juive. Une seule revient souvent pour ceux qui connaissent l'histoire de la chanteuse, mais jamais de ses propres dires. À mon sens, "Nantes" en 1964 avait déjà été dédiée au père incestueux pardonné, et "Au coeur de la nuit" en 1967 s'était déjà chargée de raconter le viol, le "bruissement d'ailes" néfaste. Cette dernière n'a été jouée qu'une seule fois en direct, puis plus jamais, alors que "L'aigle noir" revient systématiquement en fin des concerts, jusqu'au dernier soir en 1994. Dédiée à une fillette de quatre ans, qui plus est !

Il est possible que BARBARA soit partie de ses malheurs pour les transformer en une belle image, quelque chose qu'elle souhaite retrouver avec intensité, comme un désir enfantin d'adulte, en l'adoucissant au maximum, avec sensualité et innocence. Sa version un peu DISNEY à elle, mais là où d'autres chanteuses seraient plus licorne ou alors ours en peluche, elle parle de son aigle noir. On ne pourrait guère mieux imaginer Maléfique sans son corbeau dans La Belle au Bois Dormant ! Et la chanson ressemble à une incantation. Si "La colère" plus loin dans le disque lui donne elle aussi un air évident de sorcière, si on ne peut se détacher de ses autres chansons marquantes d'amour plus réalistes, c'est bien avec "L'aigle noir" que BARBARA se révèle sous ses meilleurs atours, et qui ne peuvent laisser indifférents (certains esprits sifflants affirment tout de même parvenir à l'être).

Ce morceau est exceptionnel en style et en qualité, musicalement comme sur le plan textuel, puisque BARBARA finit elle-même par se laisser ensorceler. Cette tonalité majeure à la clé de sol, très ample dans la mélodie, dans le son global, porte autant de couleurs bariolées et fortes en elle que bien des oeuvres de nos chers musiciens rêveurs et chevelus de la même époque, les psychédéliques et le rock progressif naissant, mais sans autre substance que la poésie. Le piano et l'esprit classico-romantique demeurent maîtres, mais après cela, BARBARA ne peut plus être la même qu'auparavant.

Colombier se surpasse dans l'arrangement de la batterie imitant les ailes de l'oiseau roi couronné (même si d'aucuns diraient que cela sonne dépassé), la basse voluptueuse jouée au mediator totalement différente des contrebasses jazz employées par BARBARA précédemment, la guitare qui reprend elle aussi à son compte l'envol à la fin. Sans parler des crescendos, retombées, de l'arrivée du choeur en vocalises et de son soutien précieux à la chanteuse, une sorte de 'soul' à la française qui vaut alors bien celle des Aretha FRANKLIN et autres. On a du mal à s'arrêter de parler de ces cinq minutes de bonheur, d'extase, d'un morceau grand-oeuvre aussi précieux pour la chanson en général !

Au début pourtant, la critique a fort mal accueilli "L'aigle noir" ; BARBARA se prêtait soi-disant à un registre pop trop conventionnel. Dans l'album qui porte son nom et dont elle rehausse pas mal l'intérêt, il faut le dire, elle est presque totalement dissociée du reste, mais pour la suite de sa carrière, la chanteuse puisera régulièrement dans ces mêmes orchestrations modernes. Europe 1 s'est chargé d'en faire un tube de l'été, même si BARBARA a refusé plus d'une fois de la chanter à la télévision. Loin de la renier, en dehors des concerts elle l'a toujours adorée. Reprise maintes fois par de multiples interprètes (dont la Québecoise Marie CARMEN en 1992, celle qui me l'a fait connaître), les Français l'ont gardée parmi leurs deux ou trois morceaux préférés aux côtés de "Ne me quitte pas" (BREL n'est jamais loin) et "Mistral gagnant". Comme quoi, les décennies défilent mais la qualité reste ; espérons pour longtemps.

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   MARCO STIVELL

 
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- Barbara (chant, piano)
- Michel Colombier (arrangements)
- Roland Romanelli (accordéon)


1. À Peine
2. Quand Ceux Qui Vont
3. Hop Là
4. Je Serai Douce
5. Amoureuse
6. L'aigle Noir
7. Drouot
8. La Colère
9. Au Revoir
10. Le Zinzin



             



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