Branle-bas de combat dans la carrière des MOODY BLUES ! Dès 1986, le groupe anglais n'est définitivement plus (?) le dinosaure du rock classique qui parvient à subsister de façon plus qu'honorable tout en ne rechignant pas à la modernité : Long Distance Voyager (1981) et The Present (1983) ont, en cela, révélé des équilibres potentiellement parfaits. Dorénavant, c'est un groupe à la force rock distillée dans cette même modernité et s'y remettant de façon presque entière, systématique. De quoi faire fuir les puristes, définitivement là, en revanche !

La raison tient beaucoup en un seul nom : Tony Visconti. Proche de T-REX à la base et sur toute leur grande période (68-74), il s'est fait surtout connaître auprès de David BOWIE, comme bassiste ("The Man Who Sold the World") et comme producteur, ayant collaboré avec lui de façon éparse sur l'ensemble de sa carrière. Sauf, curieusement, les années 80 et 90 ! En termes d'apports de production, il y a eu également Iggy POP bien sûr, mais aussi The STRAWBS, GENTLE GIANT, CARAVAN, THIN LIZZY, Rick WAKEMAN, The STRANGLERS, Jon ANDERSON, d'autant plus qu'en 1986, Visconti diversifie encore son panel en compagnie des Français, nouvelles stars indé RITA MITSOUKO.

L'année précédente, il avait collaboré au nouvel album solo de Justin Hayward, Moving Mountains, et on sait combien les choix du chanteur-guitariste sont déterminants pour la carrière des MOODY BLUES, plus encore que ceux du bassiste John Lodge. Visconti devient donc leur producteur attitré pour une période de cinq ans, à raison de trois albums. Il fait en sorte de permettre à ses compatriotes anglais de poursuivre dans la voie du succès, MTV... tout en y étant mieux ancrés, en laissant davantage le passé au passé.

Certains éléments comme les harmonies vocales demeurent mais beaucoup moins riches, tandis que les synthés et boîtes à rythmes dominent tout, même les vraies basse et guitare électrique souvent. Ne parlons pas de Graeme Edge, et le plus triste demeure ce pauvre Ray Thomas, de plus en plus lointain, crédité encore à la flûte mais où en joue-t-il donc ici ? Parce qu'en revanche, il ne signe aucune chanson et c'est bien la première fois ; Edge lui-même se contente de co-écrire "The Spirit" avec Patrick Moraz, qui aurait pu prendre du galon de côté mais se verra très vite 'étouffé'.

Les MOODY BLUES enregistrent The Other Side of Life en plein cœur de Soho, Londres, dans le studio Good Earth de Visconti, entorse nouvelle et elle aussi durable à leur tradition puisqu'ils abandonnent leurs Threshold, foyer créatif et même leur propre label éponyme qui passe en distribution secondaire, derrière le grand nom de Polydor. En tout cas, la chanson qui donne son titre au nouvel album, écrite par Justin Hayward, est très imprégnée par l'ambiance qui règne dans le quartier, un rythme blues lent aux sonorités synthétiques (batterie Simons comprise) et aux mélodies moins proches du delta du Mississippi que des lacs du Connemara. Pour cette belle ballade atmosphérique, sans surprise un des meilleurs titres proposés, un chant sexy et relâché, une bonne basse, de bonnes nappes, mais aussi une guitare acoustique et une guitare électrique solo bien trop tardives.

À côté de cela, Hayward apporte également "I Just Don't Care", autre élément planant et vaporeux mais moins engageant, bourré de petites percussions programmées, de synthés sifflants, d'imitations de sax et de basse fretless. Il y a surtout "Your Wildest Dreams", titre d'ouverture (un peu de tradition, que diable !), avec une grandiloquence de Moraz qui semble singer le chant de Noël "O Tannenbaum"/"Mon Beau Sapin". La suite est plus soft, rêveuse et nostalgique, avec des harmonies adaptées sur fond pop-folk mais relevé à la synth-bass goulue (Visconti, bassiste reconnu, ne pouvait qu'aller dans ce sens). Un morceau efficace et plaisant, quoiqu'un brin répétitif, dont le clip contribue à redorer la popularité des MOODY BLUES aux U.S.A. depuis cinq ans : leur premier hit depuis "Nights in White Satin", 9ème dans le top 10.

John Lodge, on l'a dit pour l'album précédent, et malgré ses penchants toujours mélodiques et folk lui aussi comme entendus ici sur le conclusif "It May Be a Fire", mignons et serein mais un peu trop rose fuschia, prend du goût à offrir des titres numéro 3 dans l'album aux sonorités cyber-rock en diable. "Rock 'n' Roll Over You", entre séquences et grosses vagues électroniques, basse slapée et même guitare-synthé en lead sorties des claviers de Moraz et des ordinateurs de Visconti, se révèle correct et épique dans sa tonalité plus-que-FM, moins mémorable que le brillant "Sitting at the Wheel" de The Present.

Difficile en revanche de trouver des qualités évidentes aux titres branchés en pilote automatique que sont "Talkin' Talkin'" et "Slings and Arrows", deux des compos communément signées Lodge-Hayward, la seconde tentant même la carte pop-jazz entraînante, un peu trop. Il en va de même des sonorités grasses, 'bip bip' et lourdes de "Running Out of Love", malgré les harmonies vocales toujours, le pont au parfum orchestral, le synthé soliste survolant le final. Edge et Moraz s'en sortent mieux avec leur "Spirit", genre de rhythm'n'blues à bonne dynamique, au refrain séducteur, communicatif. Un ensemble très en demi-teinte donc, mais vu leur succès massif, aubaine totale, leur représentation alors qu'ils sont 'vieux' ("Rock 'n' Roll Over You" présent dans la B.O de Karate Kid 2), les MOODY BLUES peuvent-ils s'en plaindre ? Non non, ils vont simplement continuer.