Eh bien voilà, ça y est ! Il a presque fallu attendre huit ans le retour de Nils LOFGREN à la qualité et en grande pompe, mais le résultat en vaut la peine. C'est son dernier album avec MCA/Backstreet Records, déjà, et il est un peu espacé du précédent pour une cause qui porte un nom : Neil YOUNG. On se souvient que Nils comptait parmi ses musiciens favoris à l'orée des années 70, puisqu'on le rencontre, à défaut de mieux, sur After the Gold Rush (1970) ainsi que le live Tonight's the Night (1975) avec ce non moins brillant CRAZY HORSE. Puis plus rien, jusqu'à 1982 et l'album qui est sans doute le plus populairement décrié du Loner, à savoir Trans et son virage vu comme trop moderniste. LOFGREN y participe allègrement, de même qu'à la tournée qui suit, comme en témoigne le live In Berlin. Disons-le, une fois par décennie jusqu'à l'an 2000, YOUNG rappelle son vieil ami mais celui-ci doit attendre encore plus pour être considéré enfin comme un membre du Cheval Fou à part entière. Et surtout, cela reste secondaire au vu de ce qui attend le bon Nils dès l'année suivant la sortie de Wonderland, en 1984.

On pourrait dire que ce disque marque la fin d'une époque, des grands débuts de quinze années tout de même, celles des propres ailes 'presque' à part entière, des hauts et des bas, avant une reconnaissance internationale digne de ce nom et une arrivée progressive, méritée, à la 'sécurité de l'emploi'. Et pourtant, rien ne suffit à convaincre dès le départ avec un titre certes féérique mais un rien grandiose au vu de la pochette choisie, verdâtre, et qui rejoint celle de I Came to Dance (1977), de triste mémoire. Disons-le toutefois : c'est bien le seul mauvais choix de cet album ! On peut aussi, pour faire un parallèle avec l'effort susmentionné et guère mémorable pour le coup, parler de la production, gérée à trois paires de mains, notamment celle du batteur Andy Newmark, à nouveau. Avec cette fois, outre LOFGREN lui-même qui se dit qu'on n'est jamais mieux servi que par soi-même, le bassiste Kevin McCormick qui travaille à l'époque pour Carole KING mais aussi Lita FORD, devenu ensuite membre du KENNY WAYNE SHEPHERD BAND.

De retour aux studios Power Station, le son de Wonderland tient un peu de Neil YOUNG période Trans en cela qu'il désire faire moderne, mais peut-être Nils a-t-il retenu la leçon et décidé de ne point trop charger la mule. On retrouve les éléments à la fois soft et springsteeniens, pour ces derniers sur "I Wait for You", ballade réverbérée avec orgue miaulant et guitares solaires, sha la las et choeurs crème par McCormick, ainsi que l'introductif "Across the Tracks", rock bien carré diablement efficace avec quelques ambiances inattendues. Sur celle-là, on peut entendre planer la voix de ce cher Edgar WINTER, frère de Johnny, et ce qui est certain, beaucoup plus que sur les albums précédents à gros budget, c'est que Nils LOFGREN, à la guitare comme au chant, ne manque pas de classe, quand ça veut bien.

La reprise règlementaire, "It's All Over Now" de Bobby WOMACK, ne donne aucunement l'impression de meubler contrairement à celles de Night Fades Away (1981), on apprécie cette relecture d'un grand de la soul en shuffle blues entraînant et géré de main de maître à travers une production spacieuse, des choeurs à touche féminine. À part celle-ci donc, LOFGREN compose entièrement l'album ou presque et côtoie les sommets d'une dizaine d'années avant, la folie en moins. Le rythme chaloupé de "Daddy Dream" dans un ton lent et nerveux, garni d'un solo final étiré et vrombissant ; le rock funky de "Deadline" en conclusion, en plus d'une évidence sans failles, offre au trio de tête (LOFGREN-McCormick-Newmark) la perspective d'une belle unité durable, les guitares jumelles sont de sortie et une minute supplémentaire n'aurait pas été de trop cette fois. Quant à "Into the Night", c'est l'illustration urbaine en musique, avec une densité forte (la six cordes miaulante, la rupture géniale de Newmark à la fin), parfaite pour faire de cet album un indispensable pour la route en voiture balade, de nuit.

Et il n'y a pas que ça. Tout le charme de Wonderland reste de varier les ambiances sans rien dénaturer, pas même quand on sait que le reste des morceaux tend vers quelque chose de plus léger. "Confident Girl", à la pop aérienne et mélodique d'une belle profondeur, est un titre minaudant pour LOFGREN mais dans le bon sens, avec des phrases d'une sensibilité féminine claire. Et puisqu'on parle de femmes depuis un moment, l'excellente Carly SIMON intervient sur "Lonesome Ranger", ballade kitschounette adorable de Nils co-écrite avec McCormick, à la fois désabusée et ambiance plage des Bahamas avec les marimbas de Jimmy Maelen.

Une réussite, tout comme "Wonderland", pop-soul bubblegum où le cheap des synthés sonne cristallin, ainsi que "Everybody Wants", reggae improbable et très fun, d'une grande distinction. Les choeurs féminins adorables sur ces deux titres sont ceux de Louise GOFFIN, fille de Carole KING (puisqu'on en parlait) et son parolier Gerry Goffin, qui tient elle aussi une carrière solo. "Room Without Love", ballade country crépusculaire avec chant tranquille, guitares d'orfèvre et délice d'envolée instrumentale, complète à merveille ce très bel effort qui aurait pu/dû porter Nils LOFGREN beaucoup plus loin, par son seul nom. Hélas, pour Wonderland qui vaut bien son 4,5 arrondi à 5 en tant qu'album parmi ceux 'de l'année' aux U.S.A. (est-il possible d'avouer qu'on le préfère à un certain Thriller sorti dans le même temps ?), seule la Suède paternelle continue d'être un soutien, avec une petite 31ème place dans les charts. Il fallait peut-être cela, néanmoins, pour amener un plan de carrière changeant, pour le moins salvateur. Vous le savez déjà, il s'agit d'un homme suivi d'un groupe solides l'un comme l'autre, un Patron !