Cette fois, c’est Mondino qui tire le portrait de NOUGARO. Ça sent les années 80 dès le visuel et ce parfum sature l’ensemble de l’album. Claude ronronnait musicalement depuis quelques années, il accepte de changer assez radicalement maintenant qu’on est bien rentré dans cette décennie. Est-il derrière cette évolution ou bien l’a-t-il laissée faire ? La documentation me manque à ce sujet, aussi ne puis-je qu’avancer des hypothèses. On peut penser qu’il s’est bien rendu compte qu’il tournait un peu en rond et qu’il était temps de faire autre chose, mais qu’il n’avait pas forcément une idée très précise sur la manière de procéder. Alors il s’est reposé sur ses musiciens qui, eux, avaient des envies assez claires et ça a donné Ami chemin, probablement son album le plus contesté.

Une chose que l’on sait de façon à peu près certaine aujourd’hui, c’est qu’il n’était pas heureux dans ces années-là. Et quand on n’est pas heureux, on picole ; il paraît qu’il ne se gênait pas. Cela précipite la fin de sa relation avec Marcia dont il se sépare. Il s’est par ailleurs également éloigné de Maurice Vander depuis quelques années. Il a bien des musiciens avec qui il tourne depuis un temps certain maintenant, mais c’est une relation de travail. Ils n’ont pas gardé les moutons ensemble, pas mangé la même vache enragée. Bref il est relativement seul. Forcément, ce mal-être se ressent à l’écoute de ces albums. Les musiciens qui le supportent alors sont principalement Bernard Arcadio et Richard Galliano. Ils se partagent à nouveau la direction musicale du disque. On peut ajouter le nom d’Aldo Romano qui compose la moitié des chansons et qui est devenu un ami proche à la ville (ils habitent ensemble, il lui change les idées en lui faisant visiter son Italie natale dont il revient avec "Venise"). Ces trois-là semblent avoir à peu près carte blanche pour amener NOUGARO vers de nouveaux chemins.

Ils sont installés à Nice. Il faut dire que dans ces années la ville est une sorte de capitale provinciale du jazz, avec énormément de passages de musiciens d’un peu partout. C’est là-bas que ça se passe et forcément Claude y est fréquemment. D’où la chanson "Very Nice". Il y rencontre la camerounaise ANYSETTE qui l’inspire grandement (il lui pique ces deux traits sur la joue). Ils vont vivre quelques mois ensemble, partager la tournée suivante. Il la fera aussi entrer chez Barclay. Ici, il lui prend une musique pour sa chanson-titre, en ouverture de l’album. L’avantage de cette première piste, c’est qu’on est très vite fixé sur ce qu’on peut attendre de Ami Chemin. Gros son, gros cuivres, guitares électriques funky, chœurs lourdingues, mais aussi chant et percus pleins d’énergie. On aime ou on n’aime pas, mais c’est difficile de rester purement insensible.

"Muses" ressemble plus au NOUGARO classique, avec ce texte aux rimes usées. Efficace. "Neigerie" est également pas mal du tout niveaux paroles et interprétation. On en revient à la question de l’instrumentation, avec des claviers électriques, une basse particulièrement lourde, quelques traits de guitare électrique ou encore des colorations particulières (chœurs, saxos). Ça a ce côté moderne propre aux années 80, un moderne franchement daté aujourd’hui. Je disais que quand on n’est pas heureux, on picole. Ami Chemin ressemblerait presque à une cuite musicale pour Claude. Ce côté nocturne en mode tournée des grands-ducs, un peu pathétique mais en même temps plein d’une énergie qui fait faire n’importe quoi et atteindre des moments sublimes.

Ou faire n’importe quoi et faire n’importe quoi. Je pense aux chœurs kitshissimes que l’on retrouve régulièrement. Ou à certains morceaux qui en font des caisses tout comme Claude peut en faire des tonnes. C’est simple : par moments on dirait qu’il se prend pour Johnny. Tu vas me dire qu’il est l’un des rares chanteurs qui pouvait en remontrer au taulier en termes de puissance vocale, c’est bien vrai. Mais bon, était-ce bien nécessaire de l’étaler de cette manière ? Il y a globalement un petit côté vulgaire qu’on ne connaissait pas tellement à ce chanteur plutôt classieux en temps ordinaire. Mais, d’un autre côté, il y a une énergie qu’on ne retrouve guère ailleurs. Alors oui, à l’arrivée j’ai une certaine indulgence pour cet album, comme pour mon pote qui a été suffisamment con pour m’amuser et m’attendrir en fin de soirée mais pas trop pour que je le plante là.

Bon j’exagère un peu, c’est vrai. Mais t’as saisi l’idée, je pense. Pour être davantage sérieux en cette fin de chronique, attardons-nous sur les textes qui globalement ne sont pas mal du tout. On l’a dit, sa vie ne le satisfait pas et il arrive à en parler plutôt finement. La finesse des arrangements, c’est autre chose ; mais les mots sont là. Amours difficiles, amitiés salutaires, échappées salvatrices. Avec un thème qui émerge comme émergent les grands sujets lorsqu’on est bien chargé : il vieillit. Il en parle à plusieurs reprises de manière sans doute plus introspective qu’habituellement. Ainsi "Allée des brouillards" est une sacrée chanson, où l’on sent bien que sous couvert de parler à une femme, il se parle surtout à lui-même. Dans le genre très bien écrit, on peut aussi retenir "Papillons de nuit", très joli morceau en fin de disque à la plume typiquement nougarienne, dans sa veine mystérieuse et imagée. Sous l’épaisseur écrasante des notes, la poésie est encore là. Alors, quoi qu’on puisse penser de la direction prise par Ami Chemin, il reste au moins qu’on se sépare en étant plutôt d’accord avec l'ami Claude : quels que soient les états d’âme et ce qui nous plombe, "la vie c’est beau parfois". Ce NOUGARO aussi, parfois.