William SHELLER est un musicien un peu à part dans le paysage français, un artiste difficile à classer, d’autant plus qu’il se fait volontiers discret, vivant sa musique à l’écart d’un show business qu’il semble cordialement mépriser. De fait, il est inscrit dans la mémoire collective pour une poignée de titres (en vrac, “RoknDollar”, “Un homme heureux”, “Comme dans un vieux rock and roll”, “Carnet à spirale”), mais son oeuvre reste assez méconnue. Il faut dire qu’elle est protéiforme et atypique, à l’image de son parcours musical.

Après des études classiques au piano, le jeune SHELLER décide de tout plaquer pour faire de la pop music, au grand dam de son professeur. Il écume alors les bases militaires avec son groupe, les Worst, puis compose en 1967 une chanson pour un groupe éphémère. Ce sera “My Year Is A Day” des Irresistibles. Gros carton qui permet au jeune SHELLER de s’essayer au chant sur deux 45-tours, sans grand succès, malgré une collaboration avec MANSET sur l’un d’eux. Se tournant alors vers la musique orchestrale, il compose en 1969 la B.O du film Erotissimo. C’est là que, se liant d’amitié avec la monteuse, il décide, pour son mariage, de lui offrir une messe. C’est cette oeuvre, Lux Aeterna, qu’il gravera deux ans plus tard en tant que premier album, engloutissant du même coup tous les royalties de “My Year Is A Day” dans l’opération.

L’écoute de Lux Aeterna aujourd’hui peut susciter chez l’auditeur plusieurs réflexions.

Tout d’abord, cet album contient déjà tout ce qui fera la singularité de la musique de SHELLER, à savoir une passion pour le pop-rock anglo saxon, un penchant pour un certain psychédélisme et le métissage des influences, et une grande maîtrise de l’arrangement construit sur des bases classiques. En effet, comment ne pas entendre dans cet album ce qui fera la beauté d’albums comme Albion, Univers, Ailleurs ou Avatars ? Il faudra d’ailleurs attendre la sortie de Univers et de son titre "L’Empire de Toholl" pour avoir, dans la carrière de SHELLER, un morceau aussi ambitieux que ce Lux Aeterna.

Ce qui vient ensuite à l’esprit de l’auditeur, c’est que cet album est ambitieux. Véritable messe rock, Lux Aeterna voit cohabiter au sein de mêmes pièces un groupe de rock et un orchestre avec choeurs, faisant se télescoper les FLOYD et LIGETTI dans un psychédélisme bien d’époque (on a même droit à un morceau intitulé "Hare Krishna", au solo de fuzz en folie sur fond de choeurs). L’album serait d’ailleurs facile à rapprocher de la première face de Atom Heart Mother (“Introit”, “Opus Magnum”, “Sous le Signe du Verseau” ) ou de certains passages de La Mort d’Orion de MANSET (“Sous le Signe de Poissons” et sa voix d’enfant).

SHELLER n’hésite jamais à confronter les timbres, à jouer des dissonances, à créer des ruptures de tons et de dynamique, à l’image de “Sous le Signe du Verseau” dont les cinq premières minutes furieuses, où tous les musiciens - groupe, choeurs et orchestre - sont mis à contribution, débouchent sur un thème nu au piano.

Ce premier album, classé en tant que 'Péché de jeunesse' dans le coffret de l’intégrale, est une oeuvre dont SHELLER n’a pas à rougir. Bien peu étaient capables à l’époque de proposer un tel mélange des genres et de mener à bien un tel enregistrement avec des moyens réduits. William SHELLER y fait déjà étalage de son talent de compositeur et d’arrangeur.

L’oeuvre ne connut aucun succès à sa sortie en 1972 (c’est devenu une oeuvre culte aujourd’hui), mais fit forte impression à BARBARA qui demanda alors à SHELLER de signer les arrangements de ce qui deviendra La Louve. Au détour d’une discussion, elle lui dira : Tu devrais chanter….