C'est ici que ça commence à devenir vraiment intéressant. Après quelques albums oscillant entre folk et hard rock, mais où on sentait poindre de plus en plus d'éléments progressifs, Jethro Tull a cette fois franchi le Rubicon. Thick as a brick est non seulement purement progressif, mais est conceptualisé à l'extrême. Ian Anderson a bâti toute une histoire abracadabrante soi-disant écrite par un jeune garçon, la pochette de l'album étant un faux journal racontant des détails de l'affaire. Et donc, ce long texte est soi-disant mis en musique par le groupe, en une seule longue suite occupant les deux faces, un record à l'époque, qui surenchérit manifestement sur Pawn Hearts de Van der Graaf Generator qui, lui, est constitué de trois plages, avec la première grande suite d'une plage entière, un modèle d'album ayant d'autre part été repris par Yes, en cette même année 72.

L'évolution du style musical est très subtile. Tout ceci est encore très folk, Jethro Tull l'est toujours. Il y a encore quelques passages instrumentaux assez vigoureux, rappelant nettement Deep Purple. Quant à la flûte, elle a toujours été présente. Mais ça ne sonne pas du tout comme le trop âpre Aqualung. Le son semble plus plein, en partie grâce à l'orgue et au piano, mais surtout grâce à une écriture plus complexe, plus colorée et organique, dans une tendance progressive manifestement calquée sur Genesis.

Un effort très méritoire donc. Mais si le son est très beau et le concept amusant, j'ai malheureusement un peu de mal à apprécier ceci sur la durée. Il n'est pas si facile de concevoir un morceau aussi long, et cet album me semble souffrir de quelques mauvaises transitions ainsi que de quelques longueurs. Relativisons toutefois les choses, il me paraît évident que cette suite de 44 minutes est mieux maîtrisée que les 17 minutes de «Close to the edge» de Yes. Thick as a brick est quand même la première grande œuvre du groupe, si on excepte le très convaincant mais peu ambitieux Stand up. Elle allait être suivi par une longue série de disques du même calibre, ne s'achevant pas avant Stormwatch.