Addendum : Alienation n’est pas le successeur de Wonderland (2019) mais un ancien projet du groupe publié sur le tard.

À la suite de l’album Galaxy de 1980, ayant obtenu un confortable succès dans les bacs et en concert en Italie, ROCKETS retourne en studio dès la fin de la même année. L’essor scénique du groupe, avec une scénographie toujours plus élaborée et la participation en 1980 à plusieurs événements tels que des apparitions télévisées et des festivals le Discostadio à Milan le 12 juillet ou Discom à Paris en septembre. Le producteur Claude Lemoine envisage donc d’ambitieux projets pour et autour de ROCKETS, notamment un concept de confrontation scénique, un genre de 'bataille' avec une autre formation, qui ne serait autre qu’une nouvelle mouture de VISITORS, dans le cadre d’une hypothétique tournée commune en 1981.
Malheureusement, la réticence du label CGD et des divergences entre le producteur et le groupe lassé des tournées et de la thématique S-F auront respectivement raison du nouvel album et du projet de tournée ROCKETS versus VISITORS. Dans un premier temps, tout ce qu’il reste de ce projet est le second album des VISITORS publié en 1981, produit par Claude Lemoine et Jean-Pierre Massiera tout comme pour le premier album de 1974… ainsi que la radio libre Radio Thérouanne (active jusqu’en 2002) et les studios Rockland, alors fondés par Claude Lemoine dans une villa de Saint-Soupplet en Seine-et-Marne, qui demeurera la villégiature de ROCKETS pour un bout de temps. Quant à l’album Alienation, il demeurera un disque fantôme pendant quarante ans, jusqu’à sa publication en octobre 2021 par le label Mission Control, dédié à la réédition du catalogue de fond de ROCKETS.
Ce qui est bien dommage puisqu’il s’agit tout simplement d’un de ses meilleurs albums, un cran au-dessus de Plasteroid et Galaxy, dont il hérite de l’hybridation entre électronique et organique tout en innovant dans diverses directions. La production est à la fois plus aboutie que sur les précédents albums, et moins minérale que sur les suivants. La rythmique est basée sur une alternance de batterie acoustique − sa dernière apparition chez ROCKETS à vrai dire − et des boîtes à rythmes LinnDrum et Roland TR-808 − laquelle est caractérisée par ses sons de caisse-claire et de charleyston: "tik - tik - tchouk - tik - tik - tik - tchouk - tik - tik - tik - tchouk…" −, et appuyée par des slaps de basse bien sentis, apportant une discrète touche de funk. La formation fait preuve d’une fantaisie dans la composition et l’usage des synthétiseurs que nous ne lui connaissions pas et que résume parfaitement la dernière piste "Collage". Nous trouvons beaucoup plus d’effets sonores électronique que d’habitude, possiblement synchronisés avec la Roland TR-808 à l’ouïe de leur régularité.
À ne pas confondre avec "Don’t Stop", morceau joué en concert par le groupe en 1982 et resté inédit jusqu’en 2003, "Non-Stop" ouvre l’album dans la continuité de Galaxy mais apporte d’emblée un son plus propre et plein, apogée de la symbiose entre électronique et guitares si chère au groupe. Le vocoder est particulièrement discret et la rythmique a un bien meilleur rendu que les albums qui sonnaient quand même bien kitsch. Christian Le Bartz est absent de l’album mais tout de même présent dans les crédits. C’est donc Gérard L’Her qui assure l’intégralité du chant, se montrant particulièrement entreprenant. Nous avons même droit à du Ska à la MADNESS sur "Ska’red" (tout est dans le titre), où on trouve derrière le micro non pas Gérard L’Her mais rien de moins que John Lydon (crédité comme Johnny X) des SEX PISTOLS et PUBLIC IMAGE LIMITED.
"Non-Stop", "Sky Invaders", "Venus Queen", "Talk About", "Ska’red" et "Children Of Time" entrent de plain-pied dans la pop des années 1980 et n’ont pas grand-chose à envier aux productions de Giorgio MORODER. Je trouve également une étrange ressemblance à la ligne de basse de "Venus Queen" avec ce que l’on peut entendre chez The STRANGLERS (et quel pont, mes aïeux !). La Cold Wave fait également son entrée dans la mixture musicale du groupe avec le diaphane et posé "Children Of Time" strié de guitares désincarnées et de puissants coups de toms. "Collage" est une étrange conclusion, mélange de différents thèmes de l’album avec des séquences inédites. Citons également les maquettes "Pictures On The Wall" et "When The Fire Dies" successivement parues sur le coffret The Silver Years (2007) et la réédition (2022) de l’album Π 3.14, intéressantes mais plus proches de Π 3.14 (1981) et Atomic (1982) et ne laissant qu’entrevoir la singularité de Alienation.

Nous pouvons regretter la frilosité de CGD vis-à-vis de cet album résolument novateur, "Electromental" semblant même préfigurer le drum’n’bass de près de vingt ans, et sonnant même presque trop moderne pour être honnête. Musicalement, Alienation est probablement ce que ROCKETS a proposé de plus mature. Jouissif.

4 ½ sur 5 + coup de pouce