Trema'n Inis marque un tournant dans la carrière d'Alan. Primo, parce que celui-ci a choisi quelques semaines avant la sortie de l'album de dissoudre son groupe mythique, ne gardant que Dan AR BRAZ. Secundo, parce que c'est à partir de ce moment-là que la sortie de singles va se faire beaucoup plus minime et que les albums eux-mêmes obtiendront une reconnaissance nettement plus modeste. Enfin tertio, parce que c'est le début d'une nouvelle période artistique pour Alan, pendant laquelle il va se consacrer à des travaux à vocation interactive.

Pour Trema'n Inis ("vers l'île"), le but est très simple, Alan a tout simplement choisi d'illustrer par de la musique des poèmes de divers auteurs bretons. Ils sont tous dans ce dialecte à l'exception de "Hommes Liges des Talus en Transe" (en français donc). Alan signe toutes les musiques à l'exception des deux premiers morceaux de l'ancienne face B, qui sont deux compositions de feu son père Jord auquel Trema'n Inis rend hommage.

La face A du vinyl n'offrait que deux morceaux : "Stok Ouzh an Enez" ("en vue de l'île") et le pavé (dix-sept minutes au compteur) "Hommes Liges des Talus en Transe". Le premier est tout simplement merveilleux avec sa superposition de harpes, sa magnifique mélodie chantée (surtout lors du refrain), le tout restant très contemplatif. On imagine bien le bateau en vue d'île et toute la ferveur, tout l'espoir que cela entraîne. "Hommes Liges des Talus en Transe", tout au long de ses différents morceaux qui ont été choisis, révèle différentes humeurs, aussi bien dans le chant d'Alan (parlé, doux au début, parlé avec véhémence sur la seconde partie) que dans le jeu de harpe qui se fait même à un moment carrément "violent", Alan créant une dissonance avec les cordes qu'il fait vibrer de manière brusque. En tout cas, la pièce, peut-être quelque peu déroutante au début, et pas qu'à cause de sa longueur, se révèlera vite passionnante et l'on goûtera avec délice l'intervention de nappes de synthétiseur Elka qui confère au final du morceau un côté mythique. Ces deux premiers titres sont une raison suffisante pour l'achat de l'album.

Mais le reste de Trema'n Inis est loin de présenter moins d'intérêt. Le morceau le plus surprenant reste sans doute ce "Negro Song", un ovni au milieu du reste, où Alan utilise sa harpe à la manière d'une guitare bluesy et où il rajoute quelques effets sur sa voix pour les refrains. "E-Tal ar Groaz" ("face à la croix") ainsi que les deux compositions de Jord s'inscrivent plus dans un registre religieux. Elles restent toutes les trois magnifiques, surtout celles de Jord pour lesquelles Alan a ressorti la Telenn Gentañ (harpe à cordes nylon que son père avait fait revivre au début des années 50), "son seul trésor" comme il le dit sur la pochette. Bien que l'orchestration soit minimaliste, l'emballage musical de ces chansons est tellement beau qu'on ne peut même regretter que "Ar Chas Donv'Yelo da Ouez" (sur lequel Dan fait une petite apparition) soit si court. De plus, malgré un son très propre et sans réverb', on ne peut s'empêcher de penser, à l'image de la pochette, que Trema'n Inis a été enregistré dans une église. Beaucoup de points positifs pour le premier album d'une série trop méconnue.