Le moins qu'on puisse dire, c'est que cet Astonishing fait débat. C'est toujours mieux que l'indifférence générale qu'avaient provoquée les deux albums précédents… Un opéra rock donc. Plus de deux heures de musique, rien que ça. Et puis des promesses : orchestre, cornemuse, gospel, des personnages tout moches en image de synthèse (DT a quelques années de retard niveau design), une carte, une rébellion dans un grand empire…

Contrairement à ce à quoi on aurait pu s'attendre, le concept n’empiète pas tellement sur la musique. Du moins pas de la manière qu'on pourrait imaginer (j'y reviendrai). The Astonishing ne se vautre pas dans des narrations interminables et n'abuse pas d'interludes superflus (bon, hormis les plages des NOMACs mais rien de bien méchant). On a là une trentaine de chansons, qui se tiennent bien, chacune étant en fait une petite scénette avec un décor planté, un dialogue et une évolution narrative.

Pour ce qui est du scénario, je dirai qu'on se rapproche d'une tragédie grecque de seconde zone revisitée par Disney (vous énervez pas, j'adore aussi le Roi Lion) avec une petite touche Shakespearienne. L'histoire est peu passionnante, sent l'amateurisme à plein nez, et les thèmes abordés sont vus et revus (relations familiales, enfant mal aimé, amour interdit et j'en passe).

Et la musique est bien décevante. Comme je commençais à le dire plus haut, le concept ne brise pas l'unité des chansons mais il dévore – hélas – leur substance. The Astonishing est principalement composé de ballades mièvres ; les sursauts heavy sont rares, les développements instrumentaux à dose homéopathique. Et de ce fait, la voix occupe 80 % de l'espace, et l'histoire est beaucoup trop lisible, chaque émotion est dictée, chaque image mentale imposée par des bruitages illustratifs. On est bien loin d'un Scenes From A Memory qui avait parfaitement su combiner concept/émotion et musicalité/virtuosité. Le « thème » formait la charpente des morceaux, qui par la suite s'autorisaient des grandes envolées instrumentales. Peu importe si elles paraissaient hors sujet.
Je dirai que c'est ça le plus décevant : avec les capacités de Petrucci et Rudess, et surtout l'inventaire musical immense dont dispose DT avec son metal prog aux influences très diverses, on aurait pu avoir un album beaucoup plus varié, vivant et intéressant (« Dystopian Overture » et « The Gift Os Music » font donc très bien illusion).

Au lieu de ça, on aurait plutôt tendance à s'ennuyer fermement sur cet enchaînement de jolies chansonnettes. Petrucci balance deux trois bon soli (sur deux heures de musique rappelons-le), Myung est toujours inaudible, Mangini adopte un jeu totalement inexpressif et Rudess se contente de pianoter délicatement (remarque c'est pas plus mal dirons certains, et ils n'ont pas forcément tort). De plus, les soit-disant « nouveautés » annoncées sont purement gadget et leur utilisation ne dépasse pas les vingt secondes. La star du disque est donc bien sûr Labrie, qui délivre une performance plutôt impeccable, il faut bien l'avouer. Certaines mélodies vocales sont assez touchantes, le monsieur est plus posé qu'à l'accoutumée, et varie son phrasé selon les personnages qu'il incarne.

Que rajouter ? Ce double album est bien long… Certains morceaux sont bons (« A Better Life », « A Life Left Behind », « Ravenskill », « A New Beginning » et son solo mémorable, « Moment Of Betrayal », « Our New World ») mais très peu ont le potentiel de devenir des classiques. L'album s'écoute bien, l'ambiance romantico-cul-cul-clichée serait presque plaisante par moments, mais de la part d'un groupe comme DREAM THEATER on est légitimement en droit d'attendre plus. Beaucoup plus.

Le DREAM THEATER de Portnoy tournait un peu en rond, mais depuis son départ le groupe peine vraiment à convaincre. The Astonishing a le mérite d'être plus ambitieux que ses prédécesseurs, mais il est paresseux dans sa réalisation. En tout cas, ce n'est pas avec ce disque que je me réconcilierai avec DREAM THEATER.