Tentant de légitimer son nom une bonne fois pour toutes, Al JARREAU nous propose pour son troisième opus un joli coup de Jarnac : la fausse piste ! Difficile en effet, en écoutant le premier titre, de ne pas penser que JARREAU a trouvé son foyer. Plus funky, plus commercial et radio-friendly qu'auparavant, "Thinkin' About it Too" accroche immédiatement l'oreille avec sa voix appétissante, sa batterie amusée, son Lee RITENOUR de compétition. Mélodie très accessible sur fond d'accords pas toujours simples : un mélange dans lequel Al JARREAU se montre, plus qu'à l'aise, insolent de maîtrise. C'est comme s'il avait révélé sa voie.

Il est donc curieux, mais pas décevant loin de là, de se rendre compte que cet album va être encore plus varié que les deux précédents. Subtil mélange entre les vélléités jazz de We Got By et la démonstration vocale de Glow, All Fly Home n'est pas encore parfait mais se permet, classe ultime, de mettre en place des pièces de puzzle, l'une après l'autre, histoire de donner envie pour l'album suivant. Malin. Et pas forcément facile.

Deux reprises y trouvent une place de choix. Lente, très narrative, kiff personnel de JARREAU qui y fait passer une vraie fêlure notamment lors d'un bref mais intense passage où la voix se fait trompette, "She's Leaving Home" des BEATLES est méconnaissable. "Sittin' on the Dock of the Bay", elle, est IRreconnaissable. La différence est de taille. JARREAU se permet de ne reprendre du standard d'Otis REDDING qu'une très brève bribe, à peine un accord et un atome de micropoil de mélodie. Stupéfiant d'audace : il part d'un tube pour en faire une chanson totalement et je dis bien totalement réappropriée.

Mais All Fly Home, ce sont surtout des chansons originales qui n'hésitent pas à aller fouiller dans les coins. Du disco funk aux entournures jazzy avec "Wait a Little While" signée Kenny LOGGINS et dôtée d'un petit solo de synthé à la Goerge DUKE bien bandant, "I'm Home" qui tranche radicalement avec le groove du début pour une ambiance très nostalgique, jazz pur, lente à en crever de tristesse, très John COLTRANE, ou encore "I Do" fort suave qui avec ses effets distillés parcimonieusement et sa montée chromatique irrésistible s'impose glorieusement : les styles pratiqués sont nombreux, les musiciens toujours dans le moule.

Vocalement, notre homme reste presque impérial. Je dis presque car sur la frénétique bossa "Fly", il fait preuve d'une volubilité vocale impressionnante mais c'est au détriment de la justesse : le mot Fly revenant sans cesse ne sonne pas bien, comme s'il n'avait pas trouvé le ton juste (un peu comme Guillaume Canet, voyez, mais pas sur toute une carrière, lui). La légende est ternie ? Fi ! Sur "All", érotique comme une page lingerie fine des 3 Suisses (les BONNES pages hein), notre homme se permet une note longue comme ma bitemporalité lorsque je vois se mélanger la sensualité d'un slow charnel et les sanglots d'une rupture larvée.

On sent le JARREAU encore un poil fébrile côté style et musiciens, comme pas encore arrivé à son paroxysme. Mais petit à petit, la qualité de ses albums augmente, le côté classe aussi. Etape ô combien agréable, All Fly Home est de ces disques qui arrivent à dresser un pont entre le jazz dit classique et la musique grand public américaine dans sa globalité. Un bon disque d'un bon artiste : parfois, il ne faut pas demander plus.