Il a pris son temps. 5 ans. Mais en reprenant le cours de sa carrière, Al JARREAU n'a pas fait les choses à moitié. Il tente ici une synthèse entre sa période 86/92 et ses racines, et pour prouver qu'il ne plaisante pas, le voilà qu'il quitte Warner pour signer avec un vrai label de jazz, un pur, un dur, un vrai : GRP.

Eh, partez pas, salauds ! Rhoooo que vous êtes méchants, j'entends d'ici vos commentaires ! C'est vrai que GRP n'est pas votre label jazz typique, que leur historique propose un son un peu spécifique. Justement, Tomorrow Today se propose d'élargir un tantinet leur catalogue avec un disque à trois bandes, comme au billard ou chez Jacq... Bref, trois types de chansons : les salaceries r'n'b modernes, les ballades très balladines, et les chefs-d'oeuvre.

Ce constat un peu désabusé laisse poindre que deux-tiers de l'album ne rentreront pas dans la catégorie chef-d'oeuvre. Non, c'est vrai. Mais il n'y a pas trop de quoi rougir non plus. Le plus raté est la petite collection de chansons dans la veine de Heart's Horizon : "It's How You Say It" et sa grosse basse virile, "In My Music" destabilisant car limite dark par rapport à son sujet et son interprète, la ballade urbaine "Last Night". Pas vraiment r'n'b mais mélangeant habilement son très moderne et style de la fin des années 70 (pour JARREAU s'entend), la chanson-titre est déjà plus intrigante : bossa folle, elle permet à Al de se déchaîner complètement, arrangements de dingue à l'appui. Hic : déchaîné oui, mais on le sent aussi un peu fatigué. En 1994 et en live, il se donnait un chouïa plus, de ces cheveux qui font la différence entre les chanteurs et les légendes.

Vous avez aussi un petit panel de ballades suaves. Là encore, il y a du standard, des chansons qui, malgré de jolies harmonies et des musiciens très concernés, n'ont pas cette flamme sacrée qui habitait des "Old Love" ou "Your Sweet Love". Ce n'est en aucun cas anecdotique, juste un petit peu en surface, ce qui n'empêche pas quelques bons moments et notamment les choeurs masculins, mais si doux, de "Let Me Love You". Ca c'est du suave ! Ca ça va plaire à bobonne ! Ich adore.

Restent, CQFD, les chefs-d'oeuvre. 4 sur 11, ça fait pas mal. Sans vouloir être méchant, chez GRP, il y a des disques célèbres qui n'en ont pas autant. D'abord, Al frappe fort avec un "Just to be Loved" qui est l'une de ses ballades les plus commerciales depuis au moins "High Crime". Et savoureuse au dernier degré, avec son harmonica suave, ses harmonies fleurant bon le printemps. On retrouve l'élément de classe qui manquait depuis quelques années. Ensuite, "God's Gift", une ballade heavenly FM aux accents gospel très légers qui forcissent avec le temps, jusqu'à une fin enivrante. La présence de Vanessa WILLIAMS au chant est un gros plus qui donne à ce titre un côté immédiat, bigger than life, fédérateur.

A l'inverse, "Something That You Said" est un ovni complet. Le son est beaucoup plus sale qu'ailleurs, l'ambiance minimaliste et crépusculaire, le chant différent, fragile, presque faux par moments, on dirait bien plus du FLOWER KINGS que du Al JARREAU, et c'est une chanson aussi fantastique qu'unique. A l'écouter, on pourrait se dire qu'après la chanson "Tomorrow Today", JARREAU montre décidément des signes de fatigue, l'âge venant. C'est mal connaître le bestiau. En finissant l'album sur deux minutes a cappella comme il se l'autorisait à ses grandes heures, JARREAU nous fait son bel canto, remonte sur le trône, le menton bien haut : "Puddit" est un exercice de style éblouissant dont le naturel est à en laisser pantois. Inégal, mais salutaire, ce disque sent à plein nez le bilan de mi-parcours, un bilan évidemment positif, et qui peut servir de porte d'entrée aux réfractaires des productions trop old-school.

Note finale : 3,5 / 5 porté à 4 pour l'élément d'élégance