Nous sommes maintenant en 1965 (enfin pas tout à fait) lorsque Checker, filiale de Chess Records, édite "Songs Of Faith". Le contrat d’Aretha FRANKLIN avec Columbia est sur le point de prendre fin, elle aura passé cinq ans auprès de la firme enregistrant pas moins de huit disques. Malheureusement, elle n’aura connu ou commis aucun hit, les conseils de son père, le Révérend CL Franklin, n’auront guère été couronnés de succès. Alors qu’elle passe l’été auprès de sa famille, son aventure avec Ted White prend du plomb dans l’aile, les deux anciens tourtereaux décident de se séparer momentanément.

Entre la période Columbia et son futur contrat chez Atlantic, Checker en profite pour sortir "Songs Of Faith". Le label de Chicago se garde bien de signaler que les neuf titres proviennent en réalité d’un enregistrement capté dans la New Bethel Baptiste Church de Detroit en 1956, alors qu’Aretha était âgée de 14 ans. A ce moment, la chanteuse avait déjà donné naissance à un premier enfant. Cela fait deux ans qu’Aretha participe au côté de son paternel Révérend à des services religieux itinérants. Les sermons du Révérend Franklin rapportent bonbon aussi bien dans les églises que dans des foires, des théâtres et des conventions évangéliques. Si la pièce maitresse de ses shows consistent dans le sermon final et enflammé du Révérend, Aretha ponctue les interventions paternelles par quelques titres sur lesquels elle s’accompagne au piano. Voilà ce que nous réserve ce disque, des litanies chant piano à la gloire du Divin.

De la foi, la jeune Aretha en a à revendre, la preuve avec "There Is A Fountain Filled With Blood" un hymne religieux composé par William Cowper à la fin du 18ème siècle. Là, juste secondée par son piano, Aretha nous invite à méditer sur la puissance salvifique du sang du Christ. Tout un programme qui semble convenir à l’assistance. Un titre toujours à l’ordre du jour figurant dans le biopic "Respect" dédié à la diva et chanté par Jennifer Hudson, actrice oscarisée pour "Dreamgirls". En deux parties, elle reprend "Precious Lord" un classique de Thomas Dorsey qu’elle reprendra seize ans plus tard dans le Live "Amazing Grace". Il s’agit de l’un des quatre titres édités en single par Joe Von Battle sur le label JVB. Adapté de "Must Jesus Bear The Cross Alone", un psaume de George Nelson Allen, le titre connaitra de nombreuses versions par l’entremise d’ELVIS, Nina SIMONE, Joan BAEZ et une multitude de chanteurs et chanteuses de Country. Cette chanson est au générique du biopic précité. Elle enchaine sur "You Grow Closer", composition de Joe Von Battle évoquant le rapprochement vers le Seigneur.

Hormis une poignée de partisans, le rythme et les paroles ne donnent guère envie de se ruer vers le Divin. Les thèmes de la jeunesse éternelle et de la vieillesse demeurent des vannes importantes dans les récits bibliques et les sermons. Composé par James Cleveland Moore, "Never Grow Old" fit l’objet d’un single produit par Von Battle édité par J-V-B. Dès les années 20, cet hymne fut repris par moult ensembles appalachiens, groupes de Bluegrass et de Country Old Time. Suite à la reprise d’Aretha, la chanson connaitra une seconde vie par l’intermédiaire de Johnny CASH, George Jones, Bonnie Owens ou Patty Griffin.

A l’instar de certains bluesmen, les auteurs compositeurs spécialisés dans la musique religieuse n’ont cessé de s’approprier des morceaux, de s’inspirer les uns des autres voire carrément de se piquer des passages presque entiers. Accrédité ici au prolifique Thomas Dorsey "The Day Is Past And Gone" est en fait un dérivé d’un hymne de John Leland écrit à la fin du 18ème. Si le psaume fut repris milieu fifties par la guitariste folkloriste Jean Ritchie dans une mouture appalachienne, la version noire d’Aretha s’avère extrêmement lente, un tempo destiné à attiré l’emphase des auditeurs et des croyants. "He Will Wash You White As Snow" marque une rupture avec les autres titres ; là des chœurs probablement dirigés par Lucy Branch apportent de la consistance et le fameux jeu des questions/réponses apportent un léger plus. Enfin un titre qui nous sort de la léthargie qui nous gagnait Entre musique séculière ou profane et musique sacrée la frontière est parfois des plus mince. C’est ainsi qu’Aretha reprend "While The Blood Runs Warm", une proche variante d’un titre gravé en 1935 par Josh White et Buddy Moss, deux bluesmen évangéliques. Un second morceau digne d’intérêt! En guise de fermeture, Aretha nous invite à ne pas céder à la tentation avec "Yield Not To Temptation" ⃰, un psaume composé fin 19ème par Horatio Palmer, autre songwriter prolifique spécialisé dans le domaine religieux. Un titre certes passionné mais qui encore une fois s’avère barbant, tombant exagérément dans une ambiance pathos.

En dehors d’une tromperie manifeste et d’un opportunisme cupide de la part de Checker, ce disque met en lumière une chanteuse de 14 ans pleine de talent. Malheureusement, si Aretha FRANKLIN se révèle précoce et passionnée, cela ne suffit pas à faire un bon disque, surtout si vous êtes réfractaires aux sermons ou aux allégories bibliques. A moins d’avoir été présent lors de ce show et d’avoir été par miracle placé en transe musicale par le biais de voix impénétrables, ce disque ne vous touchera d’aucune façon. En dehors de deux morceaux, il faut avoir une sacrée foi pour rester en phase avec ce recueil, mais le titre ne laissait rien présager d’autre. Songs Of Faith ("Chansons de foi") a été réédité à de maintes reprises, avec de multiples pochettes et parfois sous l’intitulé : The Gospel Soul Of Aretha Franklin. Un disque qui aujourd’hui ne vaut pas plus d’un 1,5.

⃰ Titre homonyme à celui de Don Robey chanté par Bobby Bland, le trio Marcia Ball, Irma Thomas & Tracy Nelson et le Phantom Blues Band.