Agrémenté d’une curieuse pochette guère vendeuse, le concept de cet album remonte au tout début de l’année 1972. Aretha FRANKLIN qui vient de commettre un vrai carton ave Amazing Grace, disque de Gospel à ce jour le plus vendu, veut s’émanciper de la main mise de Jerry Wexler. Le 24 mars 72, la diva fête en grande pompe son 30ème anniversaire à l’Americana Hotel de New-York. Parmi les invités figurent Cannonball Adderley, Miriam Makeba, l’acteur Richard Roundtree figure majeure de la Blaxploitation, l’écrivaine Nikki Giovanni, Betty Shabazz veuve de Malcolm X, et le producteur arrangeur Quincy Jones avec lequel Aretha a déjà collaboré. La musique sert de fond à un décor où l’alcool et la poudre coule à flot. Jerry Wexler occupé par d’autres projets décide de lâcher la bride de sa chanteuse. Le choix de Quincy Jones s’avère vite essentiel, de plus le garçon a déjà collaboré avec Atlantic, dans l’esprit du label on ne risque pas de faire rentrer le loup dans la bergerie.
Seul problème, Jones est lui aussi surbooké, le bonhomme écrit pour la télévision et le cinéma et produit aussi des disques tout en pilotant d’autres projets artistiques. Dans l’esprit de Jerry Wexler, l’enregistrement de l’album au Record Plant de Los Angeles est une aubaine, Aretha n’ayant jusqu’alors enregistré qu’à New York et à Muscle Shoals dans l’antre de FAME Records, ce changement ne pouvait initialement n’avoir que du bon. Seul hic, si le concept d’un album Jazz dans le genre de Soul 69 avait été évoqué les orientations données au fil des mois par la chanteuse allaient déboucher sur un ancrage bien différent. Autre bémol, jusqu’ici Franklin enregistrait une foule de chansons en studio et le label faisait le tri afin d’obtenir un résultat commercialement vendable. Là, au bout de cinq mois, Wexler ne voyant rien venir met le holà afin d’obtenir du concret. L’album verra le jour en juin 73 à la suite de plusieurs sessions captées en avril 72, les deux dernières pistes provenant d’une session en aout.

Entre des concerts annulés parfois au dernier moment, des problèmes d’écriture liés à un mal-être grandissant, un trop plein dont les idées et la création finissent par se perdre en route, Aretha ne semble clairement pas au mieux de sa forme, malgré une envie de changement et un désir évident de s’affirmer, d’autant plus grand qu’Aretha FRANKLIN est parachutée Reine de la Soul mais aussi du Gospel depuis le décès en janvier de Mahalia Jackson, plus de 50000 admirateurs se pressant devant son cercueil au Great Salem Baptist Church. Si la collaboration entre la chanteuse et Quincy Jones pouvait paraitre inévitable à cette époque, le résultat de cette association restera mitigé, l’album n’obtenant qu’une modeste 30ème place dans les classements du Billboard, une première depuis les débuts de Lady Soul chez Atlantic. Malgré la sortie de deux 45 tours en guise de promotion, l’échec commercial de l’album vient peut-être d’une lassitude ou d’une érosion annonciatrice d’un léger déclin.

Sur les neuf pistes, Aretha en a composé ou coécrit quatre, un ratio plus élevé que la normale. Si le concept Jazz devait à l’origine parfumé le disque, il n’en n’est guère question avec "Hey Now Hey (The Other Side Of The Sky)" qui donne son nom à l’album. Là, le morceau oscille tour à tour entre une Soul délicate avec son intro de piano, avant que le morceau ne monte en gamme avant de retomber sur une étrange combinaison de ballade Jazzy patinée de Gospel. Seconde compo, du moins sur la pochette, avec "So Swell When You’re Well" un titre en réalité de James Booker enregistré par Fats DOMINO en 68 pour Reprise Records. L’accompagnement en provenance d’une partie de musiciens ayant sévi à Muscle Shoals s’avère excellent et apporte un écrin soyeux au morceau. "Sister From Texas", une ode à sa consœur Esther PHILLIPS tangue entre Blaxploitation et une Soul Psyché qui ne parvient guère à retenir l’attention. Dernière coécriture avec Quincy Jones, "Just Right Tonight", une longue pièce Jazzy dépassant allégrement les 7 minutes dont il faut attendre la moitié du morceau pour que la diva veuille entamer ses vocalises qui malheureusement tombent comme un flan mal cuit à l’image d’une orchestration pompeuse et surchargée de cordes.

Au rayon des reprises, on ne voyait guère l’intérêt de reprendre "Somewhere", titre dramatique au générique du cultissime West Side Story, plus de onze ans après la sortie du film aux dix Oscars. L’exercice de la reprise s’avère d’autant plus risqué que le titre a fait l’objet d’excellentes covers aussi bien chantées qu’instrumentales (Shirley Bassey, Lena Horne, Clara Ward, Wes MONTGOMERY, Oscar Peterson Trio ou Stan GETZ). La déception est grande, le titre s’éternise derrière une orchestration pompeuse et des arrangements ronflants et trop fastueux. Impression similaire avec "Mister Spain", titre long comme un jour sans pain gorgé d’effets Psyché qui deviennent vite aussi barbants que grandiloquents, quant au chant, Aretha se livre à une sorte de démonstration aussi inutile que pontifiante. Alors en pleine préparation de l’album, Aretha Franklin apprend lors d’un show télé que le saxophoniste James Moody habite dans les parages, l’un des animateurs les mettra alors en contact, raison pour laquelle la chanteuse s’attaque à "Moody’s Mood", une refonte du titre
"I’m In The Mood For Love" enregistré dès la fin des forties par Moody. Si la version d’origine proposait une ballade instrumentale douce qui allait à l’essentiel avec le saxophone comme premier rôle, la version d’Aretha part en vrille d’entrée, la chanteuse accélérant le tempo et s’offrant un déluge de vocalises proches de certaines bandes sons de Michel Legrand. Pour les amateurs d’anecdotes, signalons que l’orchestre de Quincy Jones avait interprété la chanson huit ans plus tôt pour Shirley Horn. Enfin "That's The Way I Feel About Cha", une reprise de Bobby WOMACK s’éternise en vain en longueur chargée de chœurs intempestifs et par une puissance vocale qui lui fait perdre toute son âme. Une version selon nous moins captivante que l’original ou la reprise d’O.V. WRIGHT. Terminons ce tour d’horizon avec sa seule embellie "Angel" * une compo de Carolyn sœur cadette d’Aretha, qui parvient enfin à toucher nos cordes sensibles. Si l’intro parlée dans laquelle elle présente sa frangine évite tout sentiment pathos et si quelques cordes apparaissent, ce titre devrait recueillir d’importants suffrages.

Au moment de faire les comptes, le chat est maigre. Hormis "Angel" et "So Swell When You’re Well" on s’ennuie ferme à l’écoute d’un disque dont le répertoire tangue dangereusement entre une Soul barbante qui pète souvent plus haut que son cul, un répertoire Jazzy sans ligne directrice, des effluves Psyché qui embrouillent le tout et une orchestration clinquante souvent sans feeling qui bride certains des sidemen. Une réédition en format CD est sortie en 1994 avec un titre bonus qui n’apporte pas grand-chose.

Note réelle 1,5.

*Titre homonyme à ceux de Jimi Hendrix, Madonna, Sarah McLachlan, Lionel Richie, Stevie Nicks.