Sam, Mathilde, Alice et Fred étaient en train de tranquillement fêter leurs 25 ans sur les routes à l’occasion de la sortie du nouvel album, quand un sinistre amas de cellule provoqua la fermeture des salles de concerts. La troupe chercha un moyen d’être malgré tout au rendez-vous, ce qui a pris finalement la forme d’un nouveau live. Si tu ne vas pas aux OGRES, les OGRES viennent à toi ! Ayant capté une partie de la soixantaine de concerts donnés avant le confinement, ils assemblent de quoi donner une idée assez précise de ce qu’aurait pu être une soirée supplémentaire. La grande originalité de cette parution par rapport aux précédentes étant d’être un véritable double-album, de la longueur d’un concert (environ deux heures), ce que le groupe n’avait jamais fait jusqu’ici.

Pour fêter ce quart de siècle d’activité, les frères et sœurs Burguière ont une idée assez singulière : plutôt que revisiter leur répertoire, ils préfèrent revisiter leurs précédentes tournées. En 2014, ils fêtaient leurs 20 ans avec la fanfare béninoise Eyo’nlé ; ils repartent sur la route avec eux pour cette nouvelle aventure. En 2016 puis 2018, ils avaient tourné avec le duo trad' BROTTO/LOPEZ. On retrouve cette fois plusieurs musiciens habitués des bals occitans, dont Guillaume LOPEZ. Avant cela, en 2013, les OGRES avaient brièvement tourné à cinq avec un batteur qui répond une nouvelle fois à leur invitation. Fière troupe que celle-ci !

Ici, se pose pour l'auditeur un choix classique lorsqu’une discographie atteint une certaine ampleur : appréhender cet album pour lui-même ou le replacer dans la lignée des parutions précédentes. Si on choisit la seconde option, cette idée de revisiter le passé débouche régulièrement sur une impression de déjà-entendu. C’est à mon sens la principale réserve à formuler. Une grande partie du premier disque est déjà présente dans les grandes lignes sur Quercy/Pontoise quand ailleurs on retrouve régulièrement des moments proches ou repris du disque des 20 ans. D’un autre côté, ces anciens albums trouvent un prolongement ici, avec quelques nouveaux morceaux dans ces styles.

Si on le prend pour ce qu’il est en lui-même, Chanter libre et fleurir se révèle avant tout un mélange de trois visages des OGRES DE BARBACK. Tout d’abord le groupe folklorique, très attiré dans ses premières années par les musiques de l’est, notamment balkaniques, qui en est venu avec l’âge à s’intéresser de plus près au trad' occitan. Ensuite, le groupe de musique du monde, ici dans sa tendance africaine. N’oublions pas le groupe de chanson française, ne rechignant plus à quelques accents rock, qui se garde parfois quelques plages à quatre comme aux temps anciens - principalement sur le deuxième disque. Si la double publication Concert / Avril et vous pouvait être vue comme la somme de la première décennie du groupe, celle-ci devient la synthèse d’années 2010 durant lesquelles les Burguière ont tracé des routes bien différentes au gré de leurs rencontres.

Les chansons du dernier album, assez peu nombreuses mais connaissant d’intéressants développements (très beau passage au milieu de "Hé papa"), s’intègrent parfaitement dans cette revue d’effectif, placées au début et à la fin de ce concert à la maison. Au milieu, se trouvent pas mal de classiques du groupe reprises avec les musiciens trad' (le tour de France "3-0") ou bien tous seuls comme des grands (l’incontournable "Grand-mère" où ils n’ont besoin de personne pour mettre le feu), mais aussi un moment Pitt-Ocha (les chansons pour enfants du groupe) habilement appuyé par la fanfare béninoise. Plus la fin du concert approche et plus la tension grimpe, avec enfin un long moment où tout le monde joue ensemble. Symboliquement, c’est avec la chanson la plus représentative des OGRES que la troupe si disparate du soir parvient à se transcender pour ne plus former qu’un groupe. Superbe version de "Rue de Panam". Impressionnante version de "NLT" également, ce morceau mêlant un texte des OGRES sur les musiques de NTM et CHOPIN prenant encore plus d’épaisseur avec la participation des musiciens trad'. Incontestablement le sommet de la soirée.

Les OGRES affirment que ce disque n’aurait pas existé sans le confinement et on peut sans doute les croire. En tout cas, il n’aurait probablement pas existé sous cette forme de double-album. C’est là l’avantage de leur liberté de groupe indépendant : ils font ce qu’ils veulent. Comme proposer un objet tout à fait singulier, une série limitée d’aspect bien spartiate en carton des plus grossiers, recelant plusieurs petites surprises au-delà des deux disques. Notamment des sachets de graines de plantes mellifères. Car il n’est pas de petits gestes que l’on ne puisse accomplir si l’on en a les moyens. Pour les abeilles dans son jardin tout autant que pour laisser une petite tribune sur scène afin de parler des sauvetages de migrants en mer ou de la maladie de Crohn dont Fred est atteint.
D’ailleurs, ainsi qu’il l’explique à cette occasion, il s’est lancé le défi de courir le marathon de New-York et on peut dire que l’entrainement paye tant il n’avait pas semblé aussi en forme depuis un moment. Les OGRES ont toujours fonctionné ainsi. Faire les choses à leur échelle, selon leurs envies et leurs convictions, mais toujours de façon très concrète. Chanter libre et fleurir prolonge une nouvelle fois cette démarche. Ce n’était pas un confinement qui allait les arrêter.