Les maladroits tels que moi ont une hantise de la céramique. Je n’ai qu’un vase chez moi. Il s’agit d’un cadeau, bien entendu. Jamais je n’aurais pris le risque de transporter un vase. Il est bien éloigné de toute éventualité de chute, bien en sureté, au point d’en perdre sa seule utilité, décorative. Nous avons tous cassé une céramique ou un objet en verre, au moins une fois dans notre vie. Qu’avons-nous alors obtenu ? Des débris et de la poussière… La poussière, LORN nous en a donc déjà longuement parlé. Elle est vaine, on l’ignore, aussi l’on s’en débarrasse en un coup de balais. Mais les débris restent. Faut-il alors tenter de les recoller entre eux ? Tout le monde sait qu’une céramique ne peut jamais être totalement reconstituée. Car toute tentative de réparation souffre d’un défaut évident: ses fissures…

Des fissures, la vie de Marcos Ortega en est pleine. A ce point-là, on pourrait même parler de fossés. Comparer sa musique à de la glue utilisée pour tenter d’en rassembler les morceaux nous semble opportun. Si Wikipedia, Soundcloud, Spotify, Bandcamp et Discogs ne semblent pas s’accorder sur la classification de certaines œuvres de LORN, concernant Debris ils sont unanimes, il s’agit d’un EP. 4 titres, et semble-t-il 2 bonus dans une version digitale qui n’est pas celle que je me suis procurée, voilà de quoi Debris est constitué. Des titres qui, EP oblige, tels les morceaux d’une céramique, ne semblent pas tout à fait concorder.

Nous avons déjà largement épilogué sur le premier, "Inverted". On vous renvoie à la chronique du clip pour de plus amples explications. Sur un plan musical, on note cependant que les notes et les rythmes ont été séparés en deux sections bien distinctes. L’artiste vient ici de réaliser une véritable dichotomie de son style, ce que la suite va nous confirmer. Quelques années après les faits, le clip aidant, on sait que Inverted traite de l’un des sujets les plus graves de la vie de LORN. Se pose nécessairement la question des autres « débris » qui constituent donc cet EP. L’artiste a bien précisé qu’il voulait que sa musique sonne comme si l’on tirait tout cela de décombres (Wreckage étant également un synonyme de débris). Aussi, nous finissons par interpréter Debris comme les plus gros morceaux de sa vie brisée.

Le titre de Bury you Brother n’évoque en effet rien de très chaleureux. Ses percussions riches nous ramènent au cœur d’une danse donnée par des autochtones d’Amérique. Laquelle est donc accompagnée d’orgue, de bruits et d’une mélodie malade, faite de nappes abrasives. Faut-il ajouter à la pédophilie la perte d’un frère ? Ce frère l’était-il au sens littéral ? Toujours est il qu’il est bel et bien enterré. De la décharge de LORN, on ne déterre donc pas que des objets…

Le cas de "On the Ice" est encore un peu plus énigmatique. A l'évocation de la glace, on pense en premier lieu à du patinage, à un jeu d’enfant insouciant ? On y trouve une mélodie cyclique, comme sur Inverted. Ses break beats, en revanche, nous ramènent au contenu des albums précédents. Mais si on cherche de la glace chez LORN, on en trouve, et même en abondance. Dans le clip bien plus récent de PAWO, la voiture percute son double de glace. L’album Vessel (2015) contient également un titre sobrement intitulé "Ice". Ses paroles mentionnent que la glace est assimilée à un chez-soi (Home). 'Home' ? Voilà un terme qui nous renvoie de nouveau à bien des paroles de Ask the Dust : Dust, "Diamond", 'Ice', serais-je en train de faire des rapprochements qui n’ont pas lieu d’être ? Voilà qu’on tourne en rond, comme les nappes de claviers du titre, qui nous paraissent dès lors plutôt sonner comme les sirènes de véhicules d'urgence. On perçoit même des effets Doppler, caractéristique du son déformé de véhicules en mouvement, passant près de nous. L’enfant de "On the Ice" ne patine donc pas, il n’a rien d’insouciant. A notre avis, il est en état de choc après un accident.

Reste donc le titre Eponyme. LORN fait définitivement fit de ses rythmes, de son ossature, et annonce ici clairement (sombrement, devrais-je dire) le contenu des albums suivants. Partis d’une dichotomie réalisée dans son mélange de Dubstep, Breakbeat et IDM, on finit donc par échouer sur un titre Ambient. Rien d’exceptionnel ici, malheureusement.

Sur un plan musical, Debris est donc un EP de transition. Il sonne essentiellement comme des chutes studio indispensables de Ask the Dust (ce que les deux titres bonus "Karma" et "Italics" semblent confirmer). Mais ces chutes ne sont que des débris qu'il semble donc impossible de rassembler. Ses fissures sont évidentes. Musicalement, la somme de ces écueils, passionnants si on les considère de manière individuelle, ne parvient pas à former un ensemble plaisant. Debris manque d’un liant. Le tube de glue semble inutilisable, et s’est égaré au milieu des débris.

Car la poussière qu’il manque pour totalement colmater les fissures de Debris, est un puzzle fait d’éléments bien trop petits. Il est donc impossible à reconstituer. Serait-ce un puzzle qui ne mène nulle part ?